SAINT-MARCEAU
par Claude RENAUDIN

in REVUE HISTORIQUE ARDENNAISE - Tome XX - Année 1985
CHAPITRE I
LES ORIGINES. LES PREMIERS SEIGNEURS

Saint-Marceau est un petit village des Ardennes qui, jusqu'au Premier Empire, a été connu indifféremment et parfois aux mêmes époques sous ce nom ou sous ceux de Saint Marcel, Saint Martial ou Saint Marcel sur le Mont.
Quel est donc ce « mont » ? Son sommet n'est qu'à 231 mètres, ses pieds baignent dans la Vence à 153 mètres. Et pourtant, malgré cette faible dénivellation, il a joué un rôle dans la vie des hommes qui se sont implantés à son sommet et sont restés là, groupés, jusqu'au milieu du XXe siècle, malgré les avantages évidents : réseau de communications, sources, facilités d'exploitation agricole, qu'ils auraient trouvés au milieu ou au bas des pentes.

Le milieu naturel
La région est celle où les dernières couches secondaires du bassin parisien viennent s'appuyer sur le massif ancien des Ardennes. La Meuse, avant de s'enfoncer au nord de Charleville-Mézières dans ce massif, a déblayé avec ses affluents, la Chiers et la Sormonne, les couches plus tendres du secondaire, constituant une dépression allongée Sud-est - Nord-Ouest où s'est établi également Sedan.
Le réseau hydrographique, renforcé au fur et à mesure de l'approfondissement de la vallée de la Meuse, s'est installé sur le versant Sud-ouest dans les couches du lias et du jurassique composées alternativement de marnes ou d'argile et de calcaires durs ou marneux, affleurant ainsi en bandes parallèles. Aussi, chaque fois que l'érosion a mis à jour une couche plus dure, il s'est constitué un abrupt, une crête dominant une pente plus douce dans les terrains meubles sous-jacents et les éboulis de la couche supérieure.
Ainsi la Vence prend sa source au pied de la chaîne des Crêtes, formée par une assise de gaize oxfordienne dominant une couche de marne. Elle coule ensuite vers le Nord-est et, avant d'entrer dans la vallée de la Meuse proprement dite à hauteur de La Francheville, découpe l'ultime crête dans le calcaire oolithique au-dessus des marnes de Flize, isolant la butte de Saint Marceau.
Les traces du travail de l'érosion qui, au cours des ans a fait reculer la zone des Crêtes, se marque au Nord-est de Saint Marceau par une nappe d'éboulis qui entoure aussi la butte résiduelle des Ayvelles.
La structure du mont, une calotte calcaire en pente douce vers le Sud-ouest, se terminant au Nord-est par un léger abrupt et reposant sur une couche de marne, en fait un réservoir d'eau de pluie qui s'écoule par de nombreuses « fontaines », au contact des deux couches. Ces sources sont presque au bas de la pente au midi, tandis que la source la plus proche du sommet grâce au relief et à l'inclinaison des couches, Fontenelle, est cependant encore à près de 40 mètres de dénivellation.
Si à partir de ces quelques éléments on cherche à imaginer quel pouvait être le milieu naturel à l'aube de l'histoire, on se heurte à des contradictions. Les bois qui subsistent sur le territoire de Saint Marceau sont sur la marne de Flize couverte ou non par des éboulis, c'est-à-dire sur le terrain où l'on s'attendait le moins à les voir. Par contre, le calcaire oolithique, qui dans les Ardennes est recouvert par les plus belles forêts, est ici exempt du moindre bois.
Autre anomalie: l'homme a rejeté la bande circulaire des sources pour s'installer sur la calotte sèche au sommet, sans qu'on puisse trouver une raison majeure de défense dans le relief assez arrondi du mont de Saint Marceau.
Il faut donc chercher les raisons historiques ou sociologiques qui ont amené l'homme à transformer le milieu naturel. Car les anomalies elles-mêmes relevées plus haut et les noms des lieux dits du terroir (Le Chênois et le Petit Chênois, La Mouchène, l'Aubuissonnière, le Bois de Saule, Ribausaule, les Aulnes, la Terre aux Chênes, le Pré aux Saules, les Sarts, le Coin du Bois de Villers, peut-être le Sauchy, la Trembloye) suggèrent que ce dernier était couvert par la forêt.

Le peuplement
Que la région à l'entour ait été habitée à l'époque gallo-romaine, la démonstration n'est plus à faire. Le nom même de Vence vient de « Vincia », divinité gauloise adoptée par Rome. La voie romaine de Reims à Cologne qui passait par la Vence à Launois pour traverser les terroirs actuels de Gruyères et Fagnon avant de franchir la Meuse était proche. Le suffixe en « y » contraction de « acum » qui désigne le domaine gallo-romain paraît dans Étrépigny, Chalandry, Évigny ... Le nom des Ayvelles comme celui de Balaives, dérive par « aive » de l'aqua romaine. Plus ancien, Sapogne, qui provient du celtique « sappo », sapin, n'est pas si loin.
Mais aucun indice n'existe en faveur d'un habitat gallo-romain sur la colline de Saint Marceau. Au contraire tout laisse supposer que celle-ci n'a été peuplée qu'à l'époque carolingienne.
Constatons d'abord que Saint Marceau est le seul de tous les villages situés sur le versant sud-ouest de la dépression Meuse-Sormonne, au débouché des rivières qui entament plus ou moins cette côte, qui ne soit pas installé au pied de celle-ci sur les marnes du lias. On est d'autant plus frappé de cette particularité en comparant avec la situation du village de Saint Aignan dans la vallée de la Bar, au pied d'un mont qui présente exactement les mêmes caractéristiques de relief et de nature des sols que Saint Marceau.
Ce n'est qu'au sud de cette zone, sur des formations géologiques légèrement différentes, quand seules subsistent les rivières plus importantes comme la Bar, la Vence ou le Thin, laissant sur le revers des crêtes des espaces plans plus étendus, qu'apparaissent des villages d'ailleurs peu nombreux et qui, s'ils ne sont pas sur le bord d'un cours d'eau, ont cherché l'abri d'un fond de val, d'un creux du relief.
L'observation est aussi valable pour la première implantation franque que marquent dans la vallée de la Vence les villages à suffixe en « court » : Boulzicourt, Guignicourt, Raillicourt. La carte des nécropoles mérovingiennes mises à jour dans les Ardennes, situées d'ailleurs pour une forte majorité autour de Mézières, révèle les étapes de ce peuplement. Après s'être répandus dans la dépression de la Meuse-Sormonne où ils se fixent à Aubigny-Ies-Pothées, Mézières, Lumes, Villers-Semeuse, les Francs se sont infiltrés dans les vallées: vallées du Thin, de This (cimetière de la Forge-Maillart), des Rejets (cimetière de Fagnon), mais surtout de la Vence, où, après avoir installé de grands domaines dans la vallée même, ils ont cherché un peu à l'écart de la zone fréquemment inondée les creux de relief situés légèrement au-dessus (nécropoles de Champigneul sur Vence, Barbaise, Jandun).
Autre fait caractéristique : un des rares noms anciens de lieux dits qui ont subsisté sur le territoire de Saint Marceau, « les Hammes » provient vraisemblablement du germanique « Ham », maison. Or ce lieu-dit est dans la vallée. Il n'est pas possible de dire pendant combien de temps une telle implantation a duré. Mais encore au siècle dernier, des parcelles toutes proches étaient dénommées « Bourg léger ». Il est peu probable qu'à l'époque mérovingienne des Francs se soient établis à la fois dans la vallée et sur le sommet de la colline à si peu de distance.

Le premier document sur le village. L'action des moines de Thin.
Mais pour plausibles qu'elles soient, il ne s'agit ici que d'hypothèses. Il faut attendre les environs de l'an Mil pour que le nom de Saint Marceau soit cité dans un texte, en l'espèce l'Inventaire des possessions de l'abbaye de Mouzon.
Un court rappel d'histoire aidera à comprendre ce document et à montrer, but de ces quelques pages, comment les grands événements se sont répercutés dans la vie d'un petit village des Ardennes.
Le démembrement de l'empire carolingien, commencé en fait à la mort de Charlemagne, en 814, par le partage en royaumes sous la fiction de l'unité de l'empire, ne fit que s'accentuer sous ses successeurs. En 843, le traité de Verdun entre les trois petits-fils de Charlemagne concrétise une séparation de leurs domaines qui n'était encore qu'assez floue. La région de Mézières, le pays de Castrice, qui était jusque là du domaine de Charles le Chauve, c'est-à-dire de ce qui sera la future France, est divisée: une partie située sur la rive gauche de la Meuse est attribuée à Lothaire, de même que le pays de Mouzon. La limite qui ne suit pas le cours du fleuve est assez indécise. Aucun des trois frères d'ailleurs ne la considère comme définitive et elle sera l'objet de contestations sans fin.
La Champagne et spécialement l'Ardenne deviennent une marche, mot qui évoque le passage des innombrables bandes, troupes plus ou moins régulières qui au cours des ans la traverseront, actrices de la rivalité qui s'établit entre ce qu'on peut appeler alors la France occidentale et la future Allemagne ; celle qui en 962 avec le sacre d'Otton le Grand deviendra le saint Empire Romain Germanique.
Le second fait dont il faut tenir compte, c'est que dans cette période confuse où les combats entre les successeurs de Charlemagne, les alliances, les intrigues ont favorisé le développement du régime féodal tout en accentuant la lutte entre les seigneurs, l'Église, et spécialement en Champagne, voit son influence s’accroître, interférant même dans les partages territoriaux. Les raisons en sont religieuses. Depuis le baptême de Clovis par Saint Remi l'archevêque de Reims, le christianisme s'est rapidement implanté dans les Ardennes. Mais elles sont politiques aussi, dues à l'intérêt des grands de s'attacher les évêques dont l'influence et les possessions étaient importantes dans ces régions frontières.
En 971 l'archevêque de Reims, Adalbéron, de la famille des Comtes d'Ardenne, proche des intérêts ottoniens, mais aussi soucieux de son Église et des réformes déjà nécessaires, établit une abbaye à Mouzon, en terre d'empire mais dépendant de Reims.
Il existe là un chapitre de chanoines dont la vie religieuse s'est affaiblie, qu'Adalbéron invite à choisir entre la vie monastique et le départ. En même temps il fait appel à l'abbé de Saint Remi de Reims. Cette abbaye bénédictine, réformée quelques années auparavant par Gérard de Brogne, avait déjà envoyé en 959 huit moines sous la conduite de Lieutald fonder le Prieuré de Thin (le Moutier). Avec l'accord de l'abbé, Lieutald repart avec six moines comme abbé de Mouzon. Thin subsiste comme prieuré dépendant de la nouvelle abbaye.
Pour assurer la vie matérielle de celle-ci, l'archevêque leur donne sur les domaines du diocèse, des biens en terre d'empire autour de Mouzon et dans la région de la Moselle et, en terre du royaume essentiellement Thin et ses dépendances. Lieutald, puis son successeur Boson, font confirmer par l'empereur Otton en 997, puis par Henri II en 1023, les biens que Mouzon possédait en terre d'empire et par le roi Robert le Pieux en 1020 - (les Capétiens ont succédé aux Carolingiens) - ceux qui étaient situés dans son royaume.
Les Archives départementales des Ardennes conservent (Réf. H. 140) l'inventaire original rédigé en 1516 par un moine de Mouzon des titres de propriété de son abbaye. L'un des paragraphes de ce document est ainsi rédigé: « Original privilège de noble mémoire Robert Roy de France donné à l'église Notre Dame de Mouzon à l'an de l'Incarnation de Notre Seigneur mil vingt portant confirmation et conservatoire pour les privilèges, possessions de ladite église et principalement pour Thin avec ses appartenances, prés, bois, champs, pâtures, eaux et autres appendances. Aussi Justice et en la ville de Saint Marceau et au lieu de Mortain avec toutes leurs appendances ».
Dans le même inventaire figure le rappel d'un acte concernant « la dismembration (démembrement) des dîmes de Boulzicourt et d'une maison à Saint Marcel appartenant au prieur de Thin et union des dites dîmes à l'Aumônerie de l'église de Mouzon ».
Quand un texte de cette époque parle de maison, il s'agit d'un bâtiment de quelque importance, autrement il parlerait de masure. Il ne peut s'agir d'une maison où habite le prieur de Thin, mais qui lui appartient comme le dit le texte - évidemment pour un besoin de la communauté.
La petite communauté dirigée par un prieur énergique, ainsi que le montre son action ultérieure, a dû rapidement se développer pour pouvoir quelques douze ans après sa fondation se priver de Lieutald et de six moines sur les huit qui la constituèrent en 959, tout en continuant à remplir son rôle dans la région. Il est probable d'ailleurs qu'elle avait pris la suite d'une petite collégiale de moines attirés par les restes de Sainte Belande qui avaient été transférés à Thin vers 750.
A-t-elle besoin de nouvelles ressources? Saint Marceau est à une petite journée de marche de Thin. Les bois de Thin, de Froidmont, autour du prieuré, sont déjà exploités par les moines ; les vallées, les plateaux au revers des crêtes autour de Mondigny, de Champigneul sont déjà cultivés; la butte de Saint Marceau, couverte d'arbres, à l'écart des voies de passage, avec un relief adouci propice à la culture, mais dont le léger escarpement du sommet facilite quelque peu la protection contre les brigands, paraît propice à un défrichement organisé.
Mais la discrimination dans l'inventaire des biens de Thin de celui de Saint Marceau paraît indiquer que l'implantation d'un groupe d'hommes à Saint Marceau correspond à un désir de christianisation de la campagne. Si Thin y possède le droit de justice, c'est donc qu'en 1023 il y a déjà un groupe d'habitants qui dépendent du prieur et non d'un seigneur laïque. Il y existe en tout cas une église dédiée à Saint Marcel et donc un desservant. Et l'existence d'un bâtiment important semble confirmer que les moines sont déjà bien implantés.
La citation ci-dessus du Privilège de Robert le Pieux est conforme à celle faite dans l'Inventaire des Archives départementales des Ardennes par M. N. Sériemaud, qui résume ainsi la fin: « ... principalement pour Thin, avec les appartenances, prés, bois, champs, pâtures et autres choses, avec la justice à Saint Marceau et au lieu de Mortains »
Ce texte pose deux questions :
s'agit-il bien de justice ?
s'agit-il de notre Saint Marceau ou de Saint Marcel dans la vallée du Thin?

Sur le premier point, dans l'Inventaire de 1516, d'une écriture assez lâche, comportant des redites et parfois des omissions de mots - signes d'un travail rapide -, on lit Justine et non Justice. Nous n'avons plus le privilège original, mais seulement un « vidimus » de Philippe le Bel conservé à la Bibliothèque Nationale, Collection Champagne, T. 150 N° 4, ainsi rédigé: « ... Thin cum ecclesia in honore Sancte Marie dicata, pratis, silvis, campis, pasturis, aquis et omnibus appendiciis suis, Justinia, cum pratis, silvis, campis, pasturis, aquis et omnibus appendiciis suis, et in villa Sancti Marcelli dimidia ecclesia, et in loco qui dicitur Mortarium predium cum omnibus suis »
Ce « vidimus » est de Juillet 1289, bien antérieur à l'Inventaire de Mouzon. Normalement il doit reproduire les termes mêmes du Privilège. L'abbaye de Mouzon aurait ainsi reçu de l'archevêque de Reims: Thin, Justine, le lieu-dit de Mortaire (et non Mortains, probablement Mortiers) et la moitié de l'église de Saint Marcel.
Justine est un petit village situé au sud-ouest de Thin, à une distance un peu supérieure à celle de Saint Marceau. Il n'y a rien d'impossible à ce qu'il ait appartenu à Thin. Mais ce qui ne laisse pas de surprendre c'est qu'on ne retrouve plus le nom de Justine dans aucun des autres titres de propriété inventoriés par Mouzon, alors que Saint Marcel est l'objet de 18 actes divers jusqu'au XVIe siècle. Le greffier qui a rédigé le vidimus a-t-il mal lu le mot de justice et, pensant qu'il s'agissait d'un village, a-t-il pris sur lui d'ajouter la théorie habituelle des appendances ? Mais admettons la lettre. Mouzon possède non le droit de justice, mais la moitié de l'église de Saint Marcel.
La question la plus importante est celle de savoir s'il s'agit bien de Saint Marcel sur le Mont? Mouzon a eu par l'intermédiaire de Thin des droits divers sur le village et les dîmes de Saint Marcel sur Thin ou Saint Marcel-les-Clavy. Dans l'inventaire on trouve 6 actes concernant avec certitude ce village parce que la précision géographique en est donnée. Certes ce n'est pas une preuve a contrario que dans les 12 autres cas il s'agisse bien de Saint Marcel sur le Mont. Mais il faut remarquer d'abord que l'existence de 18 actes concernant un même village est anormale comparativement aux autres possessions de l'abbaye de Mouzon. Et parmi les 12, Saint Marcel indéterminés 3 concernent la réunion dans un même acte des dîmes de Boulzicourt avec une maison à Saint Marcel. Dans la quasi-totalité des cas les titres de propriété ne se rapportent qu'à un seul bien ou à la délimitation des territoires de deux villages voisins. Or Saint Marcel sur Thin est à 12 kilomètres à vol d'oiseau de Boulzicourt, Saint Marceau est le village voisin.
On ne voit pas les raisons qui auraient conduit le Prieur de Thin à posséder une maison de quelque importance à Saint Marcel sur Thin situé dans la même vallée à 7 km et de fondation très antérieure au prieuré, alors qu'il est normal que les moines aient eu un bâtiment d'exploitation à Saint Marceau s'ils y avaient créé une colonie de défrichement.
On sait expressément par ailleurs que Mouzon par Thin avait des droits sur les dîmes de Saint Marcel sur Thin. Pourquoi ne pas joindre plutôt celles-ci dans la même donation avec les dîmes de Boulzicourt?
L'Inventaire précise par deux fois que l'apport des dîmes de Boulzicourt et de la maison de Saint Marcel a été fait « durant la vie tant seulement d'un moine Messire Thomas de Chalon, maintenant trépassé, avec le décret de Mgr de Reims ».
Ce Thomas de Chalon, prieur de Thin de 1347 à 1379 au moins, devint ensuite abbé de Mouzon et mourut en 1423. On ne sait la raison qui poussa ledit Thomas à attribuer à l'aumônerie de son abbaye une part des revenus de Thin. En tout cas un troisième acte précise que la même donation a été faite une nouvelle fois à un moine de Mouzon par l'abbé du consentement de la communauté « en raison de son peu de valeur ». Ne peut-on conclure qu'au XVe siècle le bâtiment de Saint Marcel, reste de l'ancienne exploitation des moines, ait été choisi pour une petite donation ?
Au surplus, pourquoi aurait-il fallu le décret de Mgr de Reims pour approuver un transfert temporaire de revenus à l'intérieur de l'abbaye s'il s'était agi de Saint Marcel sur Thin, une possession parmi d'autres. Tandis que pour Saint Marceau qui avait fait l'objet en 1176 de divers dons par l'archevêque au Chapitre de Mézières, comme on le verra plus loin, l'abbé de Mouzon pouvait penser qu'il était préférable d'avoir l'accord de ce dernier pour le bâtiment qui lui restait dans le village.
Une présomption supplémentaire en faveur de Saint Marceau réside d'ailleurs dans l'acte de donation de 1176 où, à côté de la signature de Guillaume, archevêque de Reims, figure celle de Julien, abbé de Thin.
Faut-il ajouter que, même sans texte, l'hypothèse de la fondation par Thin reste la plus probable. Il existait en 1176 sur le mont une église assez importante pour être l'objet principal d'une donation de l'archevêque et avoir donné son nom au village. Or parmi les fondateurs religieux possibles, Donchery ne compta jamais que trois moines et Élan, Prix ou Septfontaines ont été de fondation trop tardive pour avoir pu essaimer à Saint Marceau à temps.

Fondation du Chapitre Saint Pierre de Mézières- qui jouera un rôle dans la vie du village
Il faudra attendre 150 ans pour retrouver cité le nom de Saint Marceau. En 1176, Manasses, Comte de Rethel, qui a fait construire à Mézières une église dédiée à Saint Pierre, la cède à Guillaume, Archevêque de Reims, et s'engage pour le salut de son âme et de celle de ses prédécesseurs à y entretenir treize chanoines. Pour cela il leur donne une rente de « treize muids de grains moitié en blé moitié en seigle à prendre chaque année à la fête de Saint Remi sur les terrages de Tagnon, selon la mesure de cette ville ». C'est-à-dire que le Chapitre avait pour chacun de ses chanoines le droit de prendre environ sept quintaux de grains sur la part des récoltes des bourgeois de Tagnon due au Comte de Rethel. Aux chanoines à utiliser une part de ces grains pour les troquer contre les autres biens qui leur étaient nécessaires. L'archevêque de Reims, en confirmant cette donation, décide lui, de donner aux chanoines le bénéfice des autels de Saint Marcel et de Villers sa succursale.
Et le 20 décembre 1187 une bulle du pape Grégoire VII vient confirmer les privilèges de l'église Saint Pierre de Mézières, les dons faits par l'archevêque de Reims, ainsi que « tout ce que les chanoines ont acquis de Baudoin de Mézières avec l'agrément de son épouse et de ses fils dans la dîme et le four banal de Villers et la dîme de Saint Marcel » (Arch. Départ. Ardennes G. 42).
Ainsi, les origines de notre petit village ont été « saluées », par un roi de France, un empereur du Saint Empire et un pape. C'est que la lutte permanente et multiforme entre les souverains s'est encore accentuée au XIIe siècle par le besoin qu'ont en particulier les Capétiens élus par les seigneurs d'affirmer leur pouvoir, en même temps que ces derniers, sollicités par l'un ou par l'autre, cherchent à en profiter pour arrondir leur fief. Le XIIe siècle et spécialement en Champagne est une période d'effervescence féodale.
Sans vouloir résumer l’histoire complexe de la région, rappelons l'importance des archevêques de Reims et l'étendue, même en dehors des frontières du royaume, de la province ecclésiastique. Mézières est un château bâti sur terre de l'église de Reims, cependant que le pays de Castrice dépend du Comte de Rethel depuis que Manassès Ier, dans le premier quart du XIe siècle, a quitté le château d'Omont pour celui qu'il a fait construire sur les bords de l'Aisne.
Le texte de la bulle, qui confirme en même temps la donation par l'archevêque de Reims de l'autel de Saint Marcel et l'acquisition par les chanoines de Baudoin de Mézières de sa part dans la dîme de Saint Marcel, n'infirme pas l’hypothèse de la fondation de Saint Marceau par les moines de Thin. Le châtelain de Mézières est un seigneur local important, en quelque sorte le chef militaire du pays de Castrice au nom du Comte de Rethel. Qu'il n'eût pas cherché à étendre ses droits sur un territoire où seule l'église semblait présente eût été anormal. Et il est probable que l'archevêque de Reims, tout en pensant qu'il pouvait reprendre à Mouzon, largement dotée par ailleurs, l'église de Saint Marcel proche du nouveau chapitre de Mézières, ait fait pression sur Baudoin.
La période suivante confirmera que les terroirs de Saint Marceau et de Villers ne formèrent jusqu'au XIVe siècle qu'un seul fief. Mais déjà le texte de la bulle permet de remarquer que tandis qu'il est question pour Villers outre l'église d'un four banal, de Saint Marcel on ne cite que la dîme. Si Saint Marcel avait existé alors qu'a été constitué Villers, à l'époque gallo-romaine, il y aurait eu deux fiefs distincts. Sinon le four banal aurait été situé près du groupement d'hommes le plus nombreux, marqué par l'église principale. Or en 1176, la chapelle de Villers n'est que la succursale de celle de Saint Marcel. L'anomalie s'explique facilement si la colline de Saint Marcel a été défrichée sous l'impulsion des moines avant d'être annexée par le seigneur laïque voisin.

Les premiers seigneurs de Saint Marcel
Quoi qu'il en soit, le fait que l'église de Saint Marceau soit l'objet d'une donation montre que le groupement d'hommes constitué il y a plus de 200 ans a pris de l'importance. Un de ceux-ci, Étienne, Estévenot ou Estévenez, requis comme homme d'armes, frondeur ou arbalétrier, et sans doute plus porté vers ce service qu'à cultiver la terre, combat sous les ordres d'un petit seigneur - Guiot- du village de Neuflize, qui est de toutes les chevauchées qu'entreprend le seigneur d'Orchimont. Orchimont, un village maintenant en Belgique, appartient aussi au pays de Castrice et ses seigneurs y jouent un rôle important. Quand en 1233, Hugues, comte de Rethel, donne aux habitants de Mézières une charte communale, Baudoin, seigneur d'Orchimont sera avec Baudoin, châtelain de Mézières, témoin et garant de l'application de la charte.
Étienne doit avoir les qualités qui conviennent en ces temps. Il se fait apprécier de Guiot de Neuflize, mais aussi du seigneur d'Orchimont. Ainsi, la première fois qu'Etienne de Saint Marcel est cité dans l'histoire en 1229, c'est comme témoin et garant d'un acte important que fait Jacques d'Orchimont, la concession de la coutume de Beaumont aux habitants de Cons.
Et comme le comte de Rethel a besoin dans ce territoire frontière de vassaux sûrs, il s'attache cet homme, énergique et intelligent comme le montrera la suite, et qui sera d'autant plus fidèle qu’il lui devra son élévation. Et Étienne dit « de Saint Marcel » parce qu'il est originaire de ce village, deviendra seigneur de Saint Marcel. En 1252, Gaucher, comte de Rethel, confirme la donation du fief de Villers devant Mézières que son frère Jean qui vient de mourir, avait faite à Étienne et à ses héritiers. En dehors de tous les droits seigneuriaux que cette terre lui procure, Étienne se voit attribuer une rente annuelle perpétuelle de 2 muids de froment, 2 muids de seigle, le tout à prendre aux moulins de Mézières, propriété du comte, et 7 muids d'avoine ainsi que 30 gélines (30 poules) à prendre sur les sauvements de Launois (cf. Doc. n° 1).
La femme d'Étienne s'appelait Ade. Nous connaissons son nom parce que par un acte de 1255, Étienne et elle ont reconnu devant le doyen de Saint Remi de Mézières avoir échangé avec Gaucher, Comte de Rethel, quelques serfs et serves, des hommes et des femmes de corps comme les nommaient les textes de ce temps. Ils avaient dû se marier quelques 20 ou 30 ans plus tôt, car en 1257, un acte de l’officialité de Reims traite d'une rente achetée au comte de Rethel sur les terrages de Butz en faveur de leur fille Mathilde. Celle-ci était veuve de Thierri dit de Rimogne autrefois militaire (miles). Et Mathilde se remariera avec un certain Anseau de Bourcq, Chevalier, dont nous connaissons l'existence parce que les habitants de Donchery se plaignirent de ses exactions.
Ainsi au début du XIIe siècle un homme d'armes énergique pouvait se faire une place et introduire sa famille parmi les seigneurs locaux. Le « Miles » est la première forme de la noblesse. Rapidement cela ne deviendra plus possible, et on verra quelques familles se partager jalousement au fil des alliances les seigneuries de la région.
En tout cas la famille de Saint Marcel était solidement fondée et allait prendre toujours plus d'importance. Le fils aîné d'Étienne s'appelait comme son père. Il lui a succédé vers 1275. On retrouve son nom et son sceau dans divers actes du Comté de Rethel. Il est désigné comme homme fiaule ou foiable - c'est-à-dire de confiance - du comte.
L'acte d'hommage à la comtesse Jeanne de Rethel en 1290 de Jacquemin d'Orchimont auquel Étienne II a servi de témoin, donne quelques indications sur la position déjà acquise à la deuxième génération par les Saint Marcel.
Parmi les arrière-fiefs du seigneur d'Orchimont, c'est-à-dire les biens pour lesquels il doit hommage à la comtesse, mais dont il a remis la jouissance et la garde à des vassaux contre une aide militaire et éventuellement des redevances, figure « ce que Étienne de Saint Marcel tient de Jacquemin de Neufmanil » (cousin de Jacquemin d'Orchimont) à savoir: Louette Saint Pierre, une rente de 5 muids de seigle à prendre à Bagimont et les hommes et les femmes qu'il a à Semeuse et dans les environs.
De son mariage avec Mabille de Fay, sœur du seigneur de Boutancourt, Étienne II eut plusieurs enfants. Le fils qui lui succéda en 1322 à la seigneurie de Villers, Jean de Saint Marcel était devenu un des seigneurs les plus importants de la région. Comme l’habitude s'en prenait dans les familles seigneuriales pour sauvegarder leur lignage, il avait recueilli l'essentiel des biens acquis par ses parents.
Outre la ville de Villers, les rentes données en nature à son grand-père, il avait une maison et des terres à Élaire et diverses rentes sur des biens donnés à des vassaux, 10 livres à prendre aux vinages de Mézières, Romery et des droits sur la Meuse, les Grandes Ayvelles et ceci par héritage de son père et de son oncle Jacquemin et par achat à Baudoin d'Orchimont. En 1323, à la suite d'un arbitrage rendu par des seigneurs voisins, il reçoit le fief de Boutancourt et les documents conservés montrent qu'il avait au moins des biens à Coucy, à Malmy et dans le fief d'Omont.
De son mariage avec la fille de Thierry de Fau, il hérita à la mort de celui-ci l'obligation de « faire la garde » deux mois par an au château de Mézières à la place de celui de Stonne et d'une rente de dix livrées de terre. Il devait déjà quarante jours de garde à Mézières pour le fief de Villers et il semble bien qu'il ait acquis à Vos en Champagne des biens pour lesquels il devait quarante jours de garde à Rethel.
L'importance de Jean de Saint Marcel est aussi marquée par le fait que dans de nombreux actes il est cité comme témoin. Et il est de ceux qui avec Jacques d'Orchimont ont plaidé pour Louis de Flandre, Comte de Nevers et de Rethel, dans un procès avec l'évêque de Liège.
Mais au cours des ans les documents parlent de moins en moins de Jean de Saint Marcel et de plus en plus de Jean, seigneur de Villers; et après Jean, on ne parle plus que des seigneurs de Villers.

Le territoire de Saint Marceau dans le fief de Villers
Que devient dans cette seigneurie le groupement d'hommes constitué sur le mont de Saint Marcel qui semble entrer dans le silence cependant que la famille sortie de son sein prend sa place dans le pays de Mézières ?
Quelques faits marquent cette divergence.
Alors qu'au moment de sa donation, l'église de Saint Marceau est dans le fief de Villers l'église principale, celle de Villers sans doute plus ancienne n'étant que sa succursale, le Pouillé de Reims de 1306 - c'est-à-dire le catalogue des églises du diocèse - indique que l'église de Saint Marcel est devenue la succursale de celle de Villers. Et ceci bien que les deux églises continuent à dépendre des chanoines de Saint Pierre de Mézières.
Ces chanoines qui par deux procès engagés contre Étienne II de Saint Marcel et sa famille et dont les sentences ont été conservées, nous font connaître qu'en recevant son fief, Étienne Ier , puis ses descendants s'étaient installés dans la maison forte des anciens seigneurs de Villers, abandonnant s'ils l'avaient encore leur ancienne demeure sur la colline.
On trouvera ci-après (Doc. n° 2) la traduction du latin d'une de ces sentences. Ce sont les chanoines de Mézières qui sont demandeurs. Ils s'adressent aux officiaux de Reims, c'est-à-dire à des juges délégués par l'archevêque qui ne doivent en principe connaître que des matières purement ecclésiastiques. La procédure employée est un reflet de la lutte entre l'Église et les seigneurs qui cherchent à arrondir à ses dépens leurs domaines, mais aussi de l'importance de l'archevêque de Reims qui agit lui-même comme seigneur féodal dans les terres d'Église.
Les juges ecclésiastiques traitent Étienne et son frère de « armigeri », hommes d'armes. Ils ne veulent pas les reconnaître comme des chevaliers. Raison de plus de ne pas les faire bénéficier d'un droit seigneurial, le droit de posséder un four, le four banal où tous les habitants de Villers doivent obligatoirement apporter leur farine pour être cuite contre paiement, droit qui appartenait, on s'en souvient, au chapitre de Mézières depuis au moins 1176.
Un autre droit des seigneurs était la possession d'un moulin où chacun devait amener ses grains. Aucun texte n'en parle pour Villers. Or il est certain, comme on le verra, qu'il a existé sur le territoire de Saint Marceau à l'emplacement de l'usine métallurgique actuelle un moulin et, à côté, un four appartenant aux chanoines de Mézières. Mais depuis quelle date? Il semble peu probable qu'il s'agisse au temps d'Étienne II du four et du moulin de Villers à cause de leur éloignement de plus d'une lieue des habitations et en raison d'une implantation humaine à Villers bien avant qu'il n'y ait eu des habitants sur la colline de Saint Marcel. Sans doute le moulin de Villers était sur la Vence à l'emplacement du Moulin Leblanc. Le moulin de Saint Marcel était peut-être une création des moines de Thin pour les besoins de leur exploitation et dont les habitants auraient conservé l'usage sous la propriété des chanoines, même après leur incorporation dans le fief de Villers.

L'apparition au XIVe du fief de Saint Marcel
Ce qui semble renforcer l'hypothèse d'un groupement poursuivant son existence dans une certaine indépendance vis-à-vis d'un seigneur lointain, occupé par ses charges militaires et par l'arrondissement de son domaine, c'est l’apparition au XIVe siècle au moment où Jean de Saint Marcel n'est plus connu que sous le nom de Jean de Villers, d'une seigneurie de Saint Marceau. Alors qu'en 1252, le comte de Rethel en donnant à Etienne le fief de Villers lui signifiait qu'il tenait cette terre « devant tous hommes » après Guiot de Neuflize, Jean petit-fils d'Étienne en 1316, puis en 1322, rend hommage pour Villers directement au comte de Nevers et de Rethel, puis à sa veuve. Et en 1325, le seigneur de Neuflize, dans un aveu à la même comtesse précise : « Je tiens le fief que Jean de Saint Marcel, fils d'Étienne de Saint Marcel, tient de moi à Saint Marcel et de ce que sa mère tient en douaire » (c'est-à-dire ce qu'elle avait reçu de son mari pour en jouir en usufruit pendant son veuvage et qui reviendrait ensuite à ses enfants).
Et un terrier du comté de Rethel établi entre 1440 et 1470 indique encore que Saint Marcel devant Mézières est du fief de Neuflize. (Ajoutons pour la curiosité que ce terrier précise qu'Evaux, actuellement le lieu dit d'Eva sur la commune de Balaives, ressortait du fief de Saint Marcel).
Deux interprétations peuvent être données de cette apparente contradiction qui, somme toute, concourent à la même explication. Jean de Villers, Seigneur local important, juge négligeables les droits anciens du seigneur de Neuflize. Mais aussi signe que l'inclusion du terroir de Saint Marcel dans le fief de Villers n'avait toujours été que théorique et que seuls, après les moines de Thin, les chanoines de Saint Pierre de Mézières y avaient des droits biens réels.
Mais pourquoi la division du fief se fait-elle alors et quels seigneurs pour cette nouvelle seigneurie? Cependant que la famille de Villers continue à tenir le fief de Villers, on trouve trace seulement en 1407 d'un Jean de Chalandry, écuyer, seigneur de la Morteau dans le ressort d'Omont et de Saint Marcel sur le mont. Et puis brusquement dans la seconde moitié du XVe siècle, les seigneurs de Saint Marceau se multiplient dans les documents. En 1448, les trois fils de Jacquemart de Bohan se partagent son héritage. L'un d'eux Gobert reçoit la seigneurie de Saint Marceau avec celles de Sugny et de Coucy. En 1443, Alard de la Glizeulle, lieutenant général du bailli du Rethèlois est également seigneur de Saint Marceau et ses descendants le resteront jusqu'à Philippe de la Glizeulle en 1572. En 1469, Jean de Maillart, seigneur de This, Guignicourt, Saint Marcel les Clavy et autres lieux, se déclare aussi seigneur de Saint Marceau et en 1546 un autre seigneur de Guignicourt par alliance avec la famille de Maillart, Jean de Berles est encore seigneur de Saint Marceau. Si on ajoute que les Villers ont conservé au moins jusqu'au cours du XVIIe siècle des terres à Saint Marceau, on constate que quatre familles revendiquent chacune une partie du nouveau fief.
Les raisons de ce trop-plein après le vide des siècles précédents sont évidentes. Quand il s'agissait de constituer un domaine, les vertus guerrières étaient essentielles. Elles le restèrent, mais rapidement les familles installées défendirent leurs positions. Et par mariage, héritage, ou par constitution d'une clientèle de petits seigneurs auxquels on cédait quelques terres en arrière-fief s'organisa une valse de partages de terroirs, qui contribua plus encore que la spécialisation militaire des seigneurs à l'isolement de ceux-ci vis-à-vis des communautés villageoises. Pour les Maillart, châtelains de This, les Bohan originaires de Bohan installés à Voncq par mariage, les Villers qui ont fait leur domaine dans la vallée de la Meuse, les terres de Saint Marcel ne peuvent être que des biens de rapport dont on tirera tout ce qu'on pourra.
L'hypothèse d'une alliance des Bohan avec les Saint Marcel qui serait à l'origine des droits des Bohan a été posée par E. Thellier dans son Histoire du Canton de Flize (Manuscrit. Arch. Dép. Ardennes), qui situe celle-ci vers la fin du XIIIe siècle sans doute pour expliquer la division du fief de Villers au début du XIVe siècle.
Les Bohan comme les Neufmanil étaient des cadets de la famille d'Orchimont. Le choix par Jacques d'Orchimont, dès 1229, comme témoin, à côté de son oncle, d'Étienne de Saint Marcel peut être dû, non seulement aux qualités guerrières de celui-ci, mais à une alliance familiale. Ade, la femme d'Étienne, épousée vraisemblablement vers cette date, était peut-être une Bohan?
Mais Guiot de Neuflize devait lui aussi être allié des Bohan si on en juge par l'aveu qu'il fit pour « ce qu'Henri de Bohan tient de moi à Neuflize et à Briangne pour compte de douaire et ce que le même Henri tient de moi à Neuflize ». Ceci éclaircirait et la présence de Guiot de Neuflize sous la bannière d'Orchimont et peut-être aussi la dissociation qui se produit au début du XIVe siècle entre les terres de Saint Marcel et le fief de Villers. Les Saint Marcel dans leur château de Villers s'éloignant de leurs terres d'origine, ce sont ces dernières qui auraient été attribuées, au moins en partie, de préférence aux Bohan.
Il n'est pas exclu cependant que la possession d'une partie de la seigneurie de Saint Marceau par Jacquemart de Bohan lui vienne de son mariage avec Jeanne de Voncq ou de Grandpré. Cette dernière aurait apporté à son mari, outre la seigneurie de Voncq, des biens à Boutancourt dont on a vu que Jean de Saint Marcel était seigneur vers 1320. Et les descendants de ce dernier, Geoffroy, bailli du Rethelois et son frère Jean détenaient en arrière-fief de Jacquemart de Voncq une maison et des vignes à Voncq. Échange à l'occasion d'un mariage ou achats : les relations entre les Villers et les Bohan peuvent aussi avoir porté sur des terres à Saint Marceau. Exemple de plus en tout cas du partage des seigneuries entre quelques familles.
On ne peut déceler l'origine des droits des Maillart. Jean de Maillart, quatrième du nom, épousa le 30 Octobre 1489 noble demoiselle Ysabeau des Ayvelles, fille de feu Jehan des Ayvelles seigneur des Grandes et Petites Ayvelles qui pouvait avoir des droits sur Saint Marceau par mariage ou par succession des seigneurs de Villers. Mais par un aveu de 1469, Jean de Maillart se qualifie déjà entre autres de seigneur de Saint Marceau.
On sait aussi que Jean de Maillart reçut de l'abbé de Mouzon l’accensement de quelques biens dans la région du prieuré de Thin pour protéger la communauté contre les brigands. L'acte d’accensement date de 1481, mais il n'est pas impossible qu'il y ait eu un précédent ou que le prieur de Thin ait lui-même recouru auparavant à Jean de Maillart en lui offrant une terre à Saint Marceau.

Les La Glizeulle premiers seigneurs résidents ?
Seuls, peut-être, les La Glizeulle finirent par habiter sur le mont. L'origine de cette famille ne nous est pas connue. Elle apparaît brusquement avec Alard ou Alardin de La Glizeulle désigné comme seigneur de Saint Marcel sur le mont, mais qui comme lieutenant général du bailli du Rethelois a sa demeure de fonction à Château-Regnault.
Ce château avait été agrandi en 1221 sur ordre de Hughes, fils du comte de Rethel, pour y loger les services du baillage. Alard devait y rencontrer Pierre de Tournes, receveur du comte de Rethel pour les prévôtés de Mézières, Warcq, Omont, Donchery et la chatellenie de Château-Regnault. Il y rencontra également sa femme Damoiselle Catherine Alouvigny qu'il épousa dès qu'elle fut veuve, sans doute en 1449. De cette année datent en effet deux documents, l'un par lequel Alard avoue tenir en fief à cause de Catherine Alouvigny les seigneuries d' Hannogne Saint Martin et de Villers sur Bar, l'autre du garde des sceaux du baillage du Rethelois prenant acte qu'Alard, se portant fort pour Catherine Alouvigny, affecte à l'apurement des comptes du receveur une rente que Pierre de Tournes avait sur divers territoires. Il n'y a aucune raison de penser que le receveur de Mézières était malhonnête. Il laissa en tout cas à sa veuve une sérieuse fortune en terres et en rentes que le ménage employa à acheter des terres. Et ce qui nous intéresse, c'est qu'Alard se déclare, à partir de 1449, seigneur de Saint Marceau avant d'être seigneur d'Hannogne et de Saint Martin et que dans l'aveu concernant cette dernière seigneurie, il dénombre « une masure là où il solait (il y a d'habitude) une maison ». Il n'habita donc pas Saint Martin et parmi les terres qu'il acheta figure en 1454 la cense de Jean Suyant, dit Chandelier, sise à Villers et bans circonvoisins, soit semble-t-il en partie à Saint Marceau. A-t-il commencé à y bâtir une demeure ? Rien ne le prouve pour Alard. Mais la probabilité en existe pour ses descendants.
En 1459, dans un acte de donation au chapitre de Mézières, Alard de La Glizeulle et sa femme sont encore désignés comme demeurant à Mézières, où l'aveu de 1449 montre qu'il possédait déjà une maison. En 1457, Alard est encore lieutenant général du bailli du Rethelois et donc réside à Château-Regnault. Il n'est pas impossible que « partant à la retraite », il ait voulu profiter de ses possessions à Villers et lieux « circonvoisins » pour s'y faire bâtir une demeure et en attendant habite Mézières. En tout cas ses descendants jusqu'à Philippe (aveu de 1572) se déclarent seigneurs de Saint Marceau sur le Mont avant de faire état d'Hannogne, Saint Martin, Villers sur Bar, Ville sur Vence et autres. Trace a été conservée d'un échange de prés au « Pré aux saules » entre Philippe de La Glizeulle et l'église de Mézières en 1572. La fille de Philippe, Marguerite, est citée comme dame de Saint Marceau : il est peu vraisemblable qu'on lui ait donné ce titre si elle n'y résidait pas. Une présomption a contrario en faveur d'une demeure des La Glizeulle à Saint Marceau, c'est que le premier de la famille qui ne soit pas désigné comme seigneur de Saint Marceau mais de La Francheville, est mort en 1615 à La Francheville.
Les La Glizeulle conservèrent cependant une maison à Mézières. En 1521 pendant le siège de Mézières mourut un Monseigneur de Saint Marcel. Il s'agissait de Colard de La Glizeulle. Sur les comptes de la Mainbournée (La Recette municipale) de Mézières de cette année, on lit : « 45 deniers dûs chaque année à la ville pour sa maison qui était sur le pont aux fossés près du moulin». Et les comptes de l'église de Mézières enregistrent le legs de Monseigneur de Saint Marcel à côté d'autres faits par un « archier de la compagnie de Monseigneur (de Rethel) qui a trespassé durant le siège, par un gentilhomme, ... par des Aventuriers (hommes de pied français qu'on distinguait ainsi des Suisses et des Lansquenets) ... ». Il est normal que le seigneur de Saint Marcel se soit trouvé à Mézières en 1521 pour défendre la ville aux côtés de Bayard et du comte de Rethel, alors gouverneur de Champagne, contre les bandes d'impériaux de Charles-Quint, lesquelles, conduites par le duc de Nassau, avaient pris Mouzon avant de mettre le siège devant Mézières.
Mais nous voilà arrivés sous le règne de François ler, sans connaître grand' chose de la vie des hommes groupés sur le mont de Saint Marcel. Les luttes féodales, l'incorporation du Comté de Champagne au domaine royal, la guerre de cent ans se sont traduites par des passages incessants de bandes de guerre, des réquisitions, des brigandages. Si dans la seconde moitié du XVe siècle la Champagne connaît une tranquillité relative, avec le XVIe elle retrouve, plus accentuée encore par sa situation de région frontière, la lutte avec les Habsbourg que marque le siège de Mézières. Les habitants de Saint Marceau ne peuvent avoir été à l'écart de tous ces remous. Mais leur isolement relatif par rapport à leurs seigneurs pendant cette période se marque dans la rareté des documents les concernant directement.
Aussi nous faut-il pour le moment abandonner le cours de l'histoire et rechercher dans les traces de l'occupation des sols comment a pu vivre ce petit village rural.

DOCUMENT N° 1
Inféodation par Gaucher, comte de Rethel, à Étienne de Saint Marcel, de rentes sur les moulins de Mézières, les sauvements de Launois et sur Villers devant Mézières (Trésor des chartes du comté de Rethel. Tome J, p. 207).
1252 1er Juillet
Je Gauchiers. cuens de Retest . fas savoir à tous ce us qui ces presentes lettres verront, que com Estevenes, chevaliers, sires de Saint Marcel, eust au terrages de Barbaise deu : muis de froment, deux muis de soile . et quatre muis d' avainne , et trois muis davainne, et trente g elines au sauvement d'Estrepignis, lequel bief et lesques gelines je Ii avais assignei par mes lettres penden; por toute la terre que mes tres chiers frères Jehans, jadis cuens de Retest, Li avait donée à Viler devant Maisières, ciex Estevenes, le devant dit blef et lesdites gelines m'a quité et rendu mes lettres que il avait dou devant dit assenement, par tel maniere que je Ii ai donei à tous jars à lui et à ses airs permenablementen fiez et en hommage lige, au jar de feste saint Remi, en octembre, chascun an, deuz muis de froment et deu: muis de soile à mes moulins de Maisières, et set muis davainne et trante gelines à mes sauvemens de Launoit, à la mesure de Launoit, par si que ciex Estevenes, par lui et par ses airs, a repris de mi, et mis en mon fiez tout entièrement kuanque il a et doit avoir en la vile de Viler devant nomée, et en finag e de cele vile. Et toutes ces choses ci deseur dites, c'est à savoir le blef, les g elines et la vile de Viler, auvec ce que ciex Estevenes a en[inage de la vile, tient le devant di; Estevenez et tenront si air qui apres lui venront, de mi et de mes airs, en fiez et en omage lige, devant tous homes, après Guiot de Neufveii:e, Et si m'an devront ciex Estevene: et si air qui apres lui tanront ceste terre ci deseur dite, à tous jars à mi et à mes airs, chascuns an, quarante jars la warde en mon chastel de Maisières, se il en sont requis de par mi ou de par mes airs. Et par ce ke ce soit ferme chose et estable, je ai fait seeler ces presentes letres de mon seel. ce fu fait en l'an de l'Incarnation mil cc cinquante deus ans, le lundi après feste saint Pierre et saint Pol.
(Original scellé sur soie rouge. Sceau brisé).
L'acte précédent qui confirme entre autres l'attribution du fief de Villers à Etienne est une inféodation du comte de Rethel, alors que l'usage est déjà établi de l'aveu par le vassal. En dehors de celle-ci, on relève seulement en 1251 une inféodation de Thierry de Faux qui deviendra le beau-père de Jean de Saint Marcel, petit-fils d'Étienne, et deux autres en 1257 et 1275. Signe à la fois d'une certaine vacance d'autorité seigneuriale locale dans le fief de Villers et de l'ascension de la famille originaire de Saint Marcel.
Quelques indications sur les mesures anciennes citées dans les textes:

Mesures de superficie
A Saint Marceau au XIXe siècle 1 are = 2,557 verges. Il semble peu probable que cette mesure ait varié beaucoup dans le temps. Aussi a-t-on estimé que:
1 verge = 39 centiares 11 1 quartier (ou quartel) = 20 verges
1 jour = 80 verges = 31 ares 28 1 demi-jour = 40 verges
1 fauchée (pour les prés) = 31 ares 28 1 demi-cent = 50 verges
1 arpent = 100 verges = 39 ares 11 1 cent = 100 verges = 1 arpent

Mesures de capacité
Les comptes du comté de Rethel pour 1391-92 (Arch. Dép. Ardennes, E 154) précisent que le muid contenait 12 setiers,
le setier = 4 cartels
le cartel = 4 pugnets ou 8 écuelles.
Au XVIIIe siècle les prix des grains sur le marché de Mézières étaient fixes pour des setiers de froment de 120 livres (poids).
pour des setiers de seigle de 112 livres
pour des setiers d'avoine de 80 livres
et des cartels représentant respectivement le quart, soit 30, 28 et 20 livres. Si on ajoute qu’au XIVe comme au XVIIIe siècle, la mesure particulière de Mézières était de 50 cartels par muid au lieu de 48, et que la livre-poids était de 489 grammes, on peut estimer que:
le muid de froment représentait environ 730 kgs,
le setier de froment représentait environ 60 kgs,
le cartel de froment représentait environ 15 kgs,
l'écuelle de froment représentait environ 2 kgs.
C est cette approximation qui a été utilisée dans ces pages. Il faut noter cependant que sur le marché de Mézières au XVIIe siècle le setier représentait la moitié du setier de Paris, soit 6 boisseaux au lieu de 12. Le muid de Paris aurait donc été presque le double de celui de Mézières.
Rappelons enfin qu'il y avait deux principales espèces de livres-monnaies, la livre tournois et la livre parisis, se divisant chacune en 20 sols ou sous et chaque sol en 12 deniers. La livre parisis, qui valait un quart de plus que la livre tournois a été supprimée en 1667.

DOCUMENT N° 2
Procès du chapitre de Mézières à Étienne de Saint Marcel (dans lequel il est confirmé que ce dernier avait sa demeure à Villers) Arch. Dép. Ardennes, G 42, F" 84 à 86 (traduction du latin)
1283, Septembre
A tous ... Maître Rufin de Sicele chanoine et Nicolas de Ferreris Officiaux de Reims donnent salut dans le Seigneur. Il est un fait reconnu que, tandis que le Doyen et le Chapitre de Mézières avaient et ont encore un four banal dans la ville de Villers devant Mézières, dans lequel tous les hommes de ladite ville quels qu'ils soient devaient venir cuire leur pain par droit, Étienne de Saint Marcel, homme d'armes et demoiselle Mabille son épouse, dans la demeure qu'ils ont dans la ville dans les limites de celle-ci, de leur propre autorité et sans la permission desdits Doyen et Chapitre de Mézières, ontfait et établi pour eux un four, et cela au préjudice des Doyen et Chapitre mêmes ... enfin ... ils ont fait la paix entre eux et établi ce qui suit, à savoir que lesdits époux dans ladite maison garderont à perpétuité ledit four et que même leurs héritiers et successeurs le possèderont et auront à perpétuité. Mais aucune personne de quelque lieu qu'elle soit dans la ville ne pourra cuire son pain dans ledit four ni même y apporter pour cuisson sinon lesdits Étienne et Mabille son épouse ou leurs successeurs pour eux et leur famille vivant eux-mêmes dans leur maison de ladite ville et pour leurs serviteurs et non pour d'autres. Et suivant ce compromis, lesdits époux et tous ceux qui leurs sont solidaires .. , en compensation des dommages subis par lesdits Doyen et Chapitre de Mézières leur donneront un pré situé dans le territoire de ladite ville, au lieu appelé « Aux Épines » ...
De même il doit être connu que lesdits époux et ceux qui leurs sont solidaires veulent et pour cela ont expressément donné leur foi que lesdits Doyen et Chapitre ou leur mandataire peuvent prendre dans la ville ou dans le territoire de celle-ci la terre et les autres choses nécessaires aux réparations éventuelles 
de leur dit four partout où ils voudront ... Il est décidé que si lesdits Étienne et Mabille admettent un étranger pour cuire du pain dans leur four, ils auront une amende de deux sols parisis par cuisson.
CHAPITRE II
L'ÉCONOMIE RURALE

Si ce n'était l'histoire rurale, l'aspect actuel des surfaces cultivées, les parcelles allongées et étroites dessinées par le cadastre avant le remembrement de 1970, le groupement des habitants au centre du territoire nous montreraient que Saint Marceau appartient au domaine de la civilisation agricole qu'on retrouve en particulier dans le Nord-est de la France et qui a été marquée par l'organisation communautaire du village, l'assolement triennal forcé, la vaine pâture et les communaux.
Les documents conservés - dénombrement de 1444, baux de fermes de 1554 à 1892, procès, actes de vente de biens du XIXe siècle - corroborent les traces laissées sur le paysage par cette organisation communautaire qui a été à Saint Marceau spécialement vivante et qui a duré jusqu'au début du XXe siècle. Rappelons sommairement en quoi elle consiste.

L'assolement communautaire
Le rassemblement des demeures et des bâtiments d'exploitation au centre du territoire, lié à Saint Marceau aux nécessités du défrichement, oblige les paysans à s'entendre quand ce défrichement a délimité les meilleures terres, pour partager celles-ci en trois parties, les roies ou soles, et pratiquer en commun l'assolement triennal. Ce système s'était en effet peu à peu imposé comme le meilleur. Il permettait à une époque où on ne connaissait pas les engrais d'éviter un épuisement rapide des terres. Chaque roie recevait la même année et en alternance la même culture de la part de tous: roie des blés d'hiver, roie des avoines de printemps à laquelle succède la versaine ou jachère qui permet au sol de se reposer. Ainsi, malgré l'exiguïté éventuelle de ses parcelles et l’interdiction de clore ses terres, chacun pouvait labourer et récolter sans gêner ou être gêné par ses voisins. Et un pacage pouvait être réservé pour les bêtes sans nuire aux cultures : on le trouvait sur la roie en jachère et sur les chaumes en réunissant toutes les bêtes du terroir dans un même troupeau, la « herde » confiée à un berger, et aussi sur les communaux, pâtures appartenant à la communauté.
Assez curieusement, cette organisation, qui aurait dû favoriser la petite propriété, l'a plutôt retardée. Elle a conduit les villageois à batailler âprement pour obtenir l'usage des biens communs, et à abuser de la vaine pâture. Signalons seulement que le troupeau communal subsista à Saint Marceau jusqu'en 1905, que même sans terre chacun pouvait confier au troupeau communal une vache, un veau et six moutons. Ce n'est que très tardivement qu'il fut exigé la possession de 80 verges, à peine un tiers d'hectare, pour y avoir droit.
Le bail passé entre M. de Wignacourt en 1892 et son fermier concernant la plus grosse ferme du pays illustre bien la persistance de ce système. Après avoir classé les terres labourables par appartenance à chacune des roies et indiqué quelle était la culture qui y était pratiquée en cette année 1892, le bail stipule: « il est expressément convenu que les preneurs suivront l'assolement tel qu'il est indiqué ci -dessus sans interruption d'année en année. Ils laisseront à leur sortie chaque pièce dans l'ordre actuel dans sa sole respective sans intervertir l'ordre des produits annuels d'aucune pièce de manière à la dessoler ».
Plus symptomatique encore de la contrainte imposée par cette organisation est la solution donnée au problème de la jachère. En 1928 encore, un rapport sur l'agriculture dans le département des Ardennes constatait que certaines communes laissaient encore un tiers ou un quart de leurs terres labourables en guéret toute une année. A Saint Marceau à la fin du XIXe siècle la troisième année d'assolement était une « jachère vivante » ; on y semait du trèfle, des vesces, des plantes qui étouffent les mauvaises herbes et fixent l'azote et qu'on enfouissait ou des plantes sarclées: betteraves fourragères, pommes de terre. A la ferme citée une expérience d'assolement quadriennal avait été tentée. Pour améliorer encore la terre avant de reprendre la culture du blé, la versaine était répartie sur deux années, une de jachère vivante, une de plantes sarclées. Le nouveau fermier, plus habitué à l'assolement triennal demande à y revenir. Le bail enregistre cette demande et précise comment on devra pratiquer : « Pour ce faire les preneurs devront diviser la roie des cultures sarclées en trois parties approximativement égales comprenant blé, avoine et jachère de façon que les trois soles blé, avoine, jachère actuellement existantes soient toujours bien distinctes et délimitées comme elles le sont aujourd'hui et trouvent leur complément respectif pour un tiers égal dans la sole dite des cultures sarclées que le bailleur avait établie ... ». En 1892, la sole des cultures sarclées était celle de Grandchamp ; elle bordait les soles de blé, roie de Fontenelle, et d'avoine, roie du Pré Mélot et le chemin de Chévéfontaine qui la longeait à l'ouest permettait un aménagement facile avec la sole de jachère vivante. Le choix de cette roie est symptomatique de la durée du système, avec quelques accommodements jusqu’au début du XXe siècle. Et cela concorde avec le souvenir des anciens cultivateurs qui donnaient 1905 comme date de fin de la vaine pâture à Saint Marceau.

Le morcellement des terres
Un autre signe de la persistance des contraintes communautaires au XIXe siècle réside dans la répartition de la propriété agricole. Une certaine Madame du Puget qui possédait une ferme de 38 hectares étant décédée, sa ferme a été partagée en 1885 par moitié entre deux héritiers, de façon que chacun possédât également des terres dans les trois roies. Et pour « faciliter » encore cette répartition, presque systématiquement les mêmes parcelles ont été coupées en deux. Chacun, pour ses 19 hectares, s'est vu attribuer 32 parcelles, dont certaines n'avaient que 22 ares. La pratique notariale a ici renforcé les contraintes collectives.
A en juger par l'état des parcelles, tel qu'il apparaît sur le plan cadastral aux environs de 1900, il paraît difficile qu'une exploitation agricole ait pu être autre que communautaire. Cependant on a vu qu'un aménagement avait été malgré tout possible pour la plus grosse ferme. Et si les actes de vente de terres au XIXe siècle ne se bornent pas à situer celles-ci d'après leurs références cadastrales, mais continuent à spécifier leur appartenance à l'une des trais roies, ne s'agit-il pas d'une survivance formelle? Certaines appartenances pourraient même suggérer qu'il y avait pour l'ensemble du territoire deux organisations de raies. La pression communautaire s'était-elle relâchée pour l'essentiel ?
La réponse à cette question on la trouve dans les baux échelonnés de 1559 à 1788 d'une ferme que l'église paroissiale Notre-Dame de Mézières possédait à Saint Marceau, dans les actes de location pendant la même période d'un bois appartenant au chapitre de Saint Pierre de Mézières, dans la liste des terres de la Fabrique de Saint Marceau. Ces différentes pièces permettent de délimiter l'emplacement des trois roies, de constater qu'elles sont restées les mêmes jusqu'au XXe siècle mais aussi, en éliminant quelques incertitudes dues à des erreurs de copie dans les actes plus récents, de montrer que ce qui apparaissait comme des anomalies était la marque de l'adaptation d'une communauté vivante à l'évolution de la situation.
Le système des roies. Son adaptation aux besoins
La roie de Fontenelle ou de l'Agneau s'étendait à l'est du territoire, depuis le chemin de Chalandry jusqu'au-delà du chemin de Constantine. La roie du Pré Mélot s'élargissait au sud-ouest autour de ce qui était la traverse de Boulzicourt, qu'on appelait alors la Voie des eptures (les eptures ou tournières désignait l'endroit où l'on faisait tourner les attelages avant de reprendre la roie). La roie de Grandchamp au sud du territoire ne touchait pas le village. On l'atteignait par les chemins de Chévéfontaine, de la Gravière ou de la Mouchêne. A première vue on peut se demander la raison de cette disposition. Pourquoi ne pas avoir partagé le territoire comme les tranches d'un gâteau ? Et seconde bizarrerie, cette roie comprenait une sorte d'écart au nord du village ; à Vieux maisons, Maillefer, Monte aux champs, les Billettes, l'assolement suivait le même rythme qu'à Grandchamp.
On peut chercher une première explication dans la nature des sols. Les terres calcaires plus propres à la culture sont plus étendues au sud du village et plus larges à l'est qu'à l'ouest où la marne se rapproche des habitations. Mais qu'est-ce qui empêchait alors de rattacher Vieux maisons, Maillefer et les Dix-huit jours à la ruelle des Correaux qui faisaient partie de la roie du Pré Mélot et de dégager ainsi entre cette dernière et la roie de Fontenelle une roie de Grandchamp qui arrive jusqu'aux maisons? Et comment ne pas constater sur le cadastre de 1840 que tandis que les champs allongés, signe de culture, s’étendent même sur les marnes dans la majorité du territoire, la partie nord-ouest à l'exception de Vieux maisons, est composée de parcelles de formes diverses et toujours massives. On trouve bien une exception à l'est avec le Chênois. Mais celle-ci est naturelle ; il s'agit d'un coin vallonné loin du village, en pleine zone marneuse assez humide, composé partiellement de bois et qui était d'ailleurs sur le premier cadastre du XIXe indiqué comme bois. Au contraire la zone nord-ouest, proche des habitations, en partie en zone calcaire et où seul Vieux maisons avec ses parcelles étroites est dans la logique du paysage, paraît d'autant plus anormale.
Vieux maisons, le nom est trop explicite pour ne pas en déduire que le village s'étendait sur ce lieu-dit à un moment donné. Un bail de 1556 de la cense de l'église Notre-Dame de Mézières nous apprend que Vieux maisons appartenait dès cette époque au système des roies et précisément à celle de Grandchamp. Cela nous oblige a contrario à supposer que quand les demeures y existaient, les habitants avaient estimé que toute la zone qui les entourait ne devait pas être comprise dans ce système.
Ainsi s'esquisse l'histoire rurale de Saint Marceau. Au début le défrichement collectif, sous la direction des moines de Thin a dû se faire par tranches autour des habitations groupées au sommet. Il est probable qu'on y pratiquait le sartage à feu courant, tel qu'il était encore réalisé au siècle dernier sur le plateau ardennais. Les arbres coupés, on répandait sur et autour des souches de petites branches auxquelles on mettait le feu. La cendre était ensuite recouverte à la houe et du seigle semé. Ainsi, peu à peu les zones de cultures les plus favorables furent-elles repérées et le système des roies adopté. Au début, le cercle défriché a dû être limité et les trois roies se sont établies en éventail de l'est à l'ouest en passant par le sud, la partie nord et nord-ouest étant réservée pour les" services publics". L'extension du calcaire au sud dans un relief peu vallonné a conduit probablement avec l'augmentation des villageois à étendre le défrichement de ce côté. Ce qui suggère cette hypothèse, c'est d'abord la superficie de Grand-champ qui est de beaucoup la plus importante des lieux-dits du territoire, comme si cette terre n'avait pas eu le temps comme les autres de voir désigner ses différentes parties d'un sobriquet, d'une image repère qui marque l'histoire des relations entre les paysans et leur domaine. Grandchamp suffisait pour individualiser la bonne terre de culture commode. Tout le monde doit se partager ce gâteau et le partage est facile sur un terrain nouveau. On en fait une roie en modifiant la répartition classique antérieure. Et puis quand disparaissent les demeures de Vieux maisons - peut-être un incendie dû à quelque bande de brigands ou de mercenaires pendant la guerre de cent ans - et qu'on récupère ces terres ainsi que quelques parcelles gagnées sur les bois au nord, on décide d'affecter cet écart à la nouvelle roie de Grandchamp pour en compenser l'éloignement. Une telle décision permettait de satisfaire à l'assolement communautaire, tout en facilitant des accommodements locaux, ceci tant par la constitution de l'écart, que par la solution retenue pour Grandchamp qui donnait aux trois roies et non plus seulement à deux des frontières communes. On a vu l'aisance avec laquelle la ferme du château avait pu établir, puis supprimer, une quatrième roie. Ainsi la Gravière et la Mouchêne suivant les exploitations pouvaient participer à la roie de Fontenelle, à celle de Grandchamp ou à celle de Pré Mélot. La Terre l'Essaim, le Gros Buisson pouvaient recevoir les mêmes cultures que la roie du Pré Mélot ou celle de Grandchamp sans gêner la vaine pâture.
Mais les marques les plus évidentes de l'adaptation des villageois aux aléas de leur condition se trouvent dans la partie nord-ouest du territoire, celle réservée aux services communs.

La zone des services communs. L'importance de la forêt dans la vie des habitants.
Le moulin existait peut-être du temps des moines de Thin, sur la Vence au droit du village. Il a en tout cas appartenu au chapitre de Mézières, comme l'indique le chemin des chanoines qui mène au lieu-dit' 'les Chanoines" sur lequel il était bâti. A côté était le four, comme trace en a été gardée dans le nom du lieu. Dans le coin aussi la terre à foulon qui sera utilisée au moulin pour fouler la toile. Et non loin, au Grand Hoyer, profitant d'un des nombreux rus qui coulent du réservoir calcaire, une oseraie pour la confection des paniers et des hottes dont la tradition se conservera jusqu'en plein XXe siècle. Mais c'est surtout à la forêt qu'était consacrée cette zone, la forêt réservée lors du défrichement près des habitations et qui sera au moins jusqu'à la Révolution un apport indispensable à la subsistance des habitants.
En 1444, Geoffroy de Villers faisant le dénombrement de ses biens cite « mes bois que j'ai entre Villers et Saint Marcel, joignant le bois de Florainville et les bois des Ayvelles avec les bois des Mouyés, où nul ne peut tailler ni couper en iceulx qu'il ne commette amende de 60 sols parisis ». Il existait donc à la limite nord de Saint Marceau des bois semble-t-il d'une plus grande étendue que maintenant. A la fin du XVIIIe siècle encore, sur la carte de Cassini, une zone de bois assez massive, nommée le Défoy atteignait les maisons. Mais alors que le seigneur de Villers promettait amende de 60 sols parisis à qui coupait tronc ou même branchette dans ses bois, le bois de Florainville situé sur le ban de Saint Marcel et appartenant aux chanoines de Mézières était l'objet d'une étonnante manifestation de vie communautaire : la location par bail emphytéotique à l'ensemble des habitants. Tous les chefs de famille, y compris, les veuves étaient représentés nommément à l'acte et s'engageaient en présence du curé solidairement « sur l'obligation de leurs corps et biens ».
Nous ne savons pas à quelle date les chanoines avaient acquis ou reçu en don ce bois. Peut-être faisait-il partie de cette cense Suyant qui débordait le territoire de Villers sur Saint Marcel, et sur laquelle Alard de La Glizeulle avait acquis des droits et qu'il remit ensuite au chapitre de Mézières pour remplir une donation de Pierre de Tournes. Le plus ancien des trois baux de location de ce bois qui ont été conservés date de 1630. Il fait référence à un bail de 1580 portant sur 75 arpents. Les habitants de Saint Marceau ont tellement besoin de ce bois « pour le pâturage de leurs bêtes et autres utilités », qu'ils en usent et abusent et qu'en 1630 n'ayant pas payé les chanoines et incapables de leur rendre le bois dans l'état convenu, ils supplient ceux-ci de ne pas les attaquer en justice et de continuer le bail. En 1653, ils obtiennent de louer en plus 24 arpents. En 1679, au renouvellement du bail de 1580, les chanoines se laissent encore convaincre, manifestement conscients des besoins des habitants (Doc. n° 3, p. 204).
La vaine pâture, la participation au troupeau commun ne suffisait pas pour entretenir les bêtes l'hiver. Si l'on sait par les notices cadastrales de Teruel qu'au milieu du XVIe quelques villageois possédaient des terres, il semble qu'au XVIe siècle cette propriété était limitée. Nous sommes en effet quelque peu renseignés par les baux de ferme sur l'état de la propriété agricole. La situation de chaque terre à une époque où n'existait pas le cadastre était connue par la mention des noms des propriétaires des parcelles qui la bordaient à droite et à gauche, précédée du terme « royé ou royant », les noms des possesseurs de celles qui la limitaient aux deux bouts étant alors précédés du terme « budant » ou « d'un bout » (Doc. N° 4 et 5, p. 206 et 208).
Dans les baux de 1554 et de 1623, quelques noms apparaissent qui semblent appartenir à des villageois. En 1658, grâce aux registres paroissiaux conservés depuis 1652, nous sommes certains qu'au moins neuf habitants du village sont propriétaires d'une terre. On peut certes penser que quelques autres avaient aussi un petit bien dans d'autres parties des roies et on verra qu'à la fin du XVIIe et surtout au XVIIIe la situation s'améliorera. Il ne s'agissait en tout cas que d'une toute petite propriété et pendant longtemps le bois de Florainville restera indispensable à un bon nombre de villageois pour simplement subsister.
Le texte du bail de 1778 qui reprend tout l’historique des locations des chanoines à l'ensemble du village est évocateur à ce sujet. Après avoir rappelé que les habitants ont prié les chanoines de ne pas faire constater les dégradations du bois et que le chapitre est convaincu du préjudice que ferait à la communauté la privation du pâturage du dit bois, le bail poursuit : « les habitants de Saint Marceau se trouvent aujourd'hui dans une position encore plus critique qu'en mil six cent soixante dix neuf à cause de l'abolition du droit de parcours qui restreint leur pâturage audit terroir qui est très petit, très stérile et planté en bois en partie et ne pouvant d'ailleurs communiquer à leur prairie qui est très petite lorsque les terres qui l'avoisinent sont empouillées (semées) que par les dits bois... ». Et d'ajouter encore: « le chapitre ayant bien voulu condescendre par zèle pour l'intérêt des habitants qui se trouveraient ruinés s'ils étaient forcés de se priver du pâturage desdits bois et de les remettre en nature ... ».
Sans doute y avait-il quelque exagération de circonstance. La communauté de Saint Marceau « se défendait » et Monsieur Gréterin, dans son histoire de Boulzicourt rapporte que de « 1702 à 1777 une longue procédure opposa les habitants de Boulzicourt et de Saint Marceau concernant les abus de la part de cette dernière communauté dans l'usage des pâturages, le droit de parcours. Des troupeaux composés parfois de 150 moutons appartenant aux habitants de cette commune séjournaient plusieurs jours durant sur les herbages dont jouissaient les laboureurs de Boulzicourt, et des clôtures furent arrachées » ! Abus, certes, mais symptomatique à la fois de la réalité de cette communauté et de ses besoins.
Un autre signe en sera donné à la Révolution. Le bois de Florainville, considéré comme bien national, est mis en vente. Et le 2 thermidor an IV, Simon Baroist, juge de paix à Mézières, « achète un bien au ci-devant chapitre de Mézières nationalisé par la loi du 3 novembre 1789, consistant en terres et pâturages au ban de Saint Marceau, lieu-dit le bois de Florainville, lequel bois est vendu sans préjudice du bail emphytéotique au dit bien qui continuera d'avoir son exécution conformément à la loi ».
Ceci nous vaut d'ailleurs la curiosité d'un bail antérieur à la Révolution rédigé dans un style mi-révolutionnaire mi-ancien régime. Ainsi le début :
« Aujourd'hui mercredi fête de l'Annonciation vingt cinq mars mil sept cent soixante dix huit, fin de la messe de paroisse dite chantée et célébrée en l'église paroissiale de Saint Marceau sur le Mont par devant le notaire au ci-devant Baillage de Vitry et Vermandois résidant à Mézières soussigné, en présence des témoins ci-après ... furent présents Nicolas Remy Bourguignon ci-devant chanoine et secrétaire greffier du ci-devant chapitre de Mézières, Jean Cloteau ci-devant chanoine et procureur de la ci-devant fabrique du ci-devant chapitre ... ». L'acte qui a été conservé est en effet une copie délivrée quelques jours après la vente par un notaire de Mézières « après avoir supprimé tout ce qui a rapport à la féodalité pour permettre au citoyen Simon Baroist de remplir les conditions du bail ».
S'agissait-il encore du bois comme continue à le supposer le bail ou de terres et pâturages ainsi que l'indique l'acte de vente? Il est probable que le lieu répondait davantage à la dernière appellation. L'acte de vente parle encore de 94 arpents et 25 « faches », terme qui s'applique à des terrains boisés. Mais on voit mal comment ces quelques 36 hectares de bois auraient résisté au pâturage des bestiaux et à la récolte du bois de chauffage pendant deux cents ans. Ce qui semble le confirmer c'est que le nom du Bois de Florainville disparaît complètement. Il n'existe plus trente ans après quand est établi le premier cadastre. Il n'est pas resté davantage dans la mémoire des habitants. On ne sait pas non plus à qui le citoyen Simon Baroist a cédé ou légué ce qui restait de son bois. Il n'est pas absurde de penser que l'appellation de « Les Sarts » donnée aux pâtures et aux triots - sorte de friches - qui étaient biens communaux au XIXe et XXe siècles a remplacé celle de Bois de Florainville, même si les limites des deux lieux-dits ne paraissent pas avoir coïncidé entièrement. L'acte de vente du 2 Thermidor an IV précise seulement que le bois était bordé au nord, au sud et à l'ouest par d'autres bois et des prés et les baux agricoles confirment que les terres de Vieux maisons butaient contre lui à l'est.
Ainsi les formes contournées des grandes parcelles de la zone nord-ouest du village s'expliqueraient par la présence sur une grande partie de bois que pâturage, sartage, affouage communautaires auraient peu à peu dégradés. Près des Sarts, Broisette, que des documents du XIXe appellent la Braisette pourrait signifier la même histoire. Notons toutefois qu'à en juger par l'état de la propriété lors de la Révolution, une partie de cette zone nord-ouest a dû dépendre du domaine des seigneurs résidents qui se sont succédés à partir de la fin du XVIe siècle. Il s'agit de parcelles d'une certaine étendue, pour la plupart des pâtures. Mais l'une d'elles, les Dix-huit jours, a certainement été cultivée pendant une longue période. Le terme de Jour servait en effet de mesure pour les terres cultivées : il représentait la surface qu'une charrue pouvait labourer en une journée de travail. Cette mesure variait suivant les pays en fonction des difficultés présentées par le sol et le relief. A Saint Marceau au XlX", le jour correspondait à 80 verges, soit environ 31 ares. Ce terrain n'a jamais fait partie du système des roies, empêchant même comme on l'a vu une répartition traditionnelle de celles-ci en étoile. Cette situation et le fait que les parties boisées conservées appartenaient au seigneur sont des indices de plus de la faiblesse des relations de celui-ci avec la communauté villageoise.

La comparaison avec les villages voisins permet de compléter notre information sur Saint Marceau
Aucun document antérieur à 1554 n'a été conservé concernant la vie des habitants de Saint Marceau. Mais il en existe sur ceux de Villers et de Thin qui ont eu des relations avec leurs voisins de Saint Marceau. Grâce à la connaissance que nous avons déjà des caractéristiques de cette dernière communauté, il est possible d'utiliser ces documents pour supputer avec de bonnes chances d'exactitude les conditions de son existence pendant les deux ou trois siècles précédents.
Le premier document est un aveu de 1444 d'un successeur, sinon descendant d'Étienne de Saint Marcel, Geoffroy pour la seigneurie et la ville de Villers. Le texte est une longue énumération des devoirs des villageois envers leur seigneur. Parmi ceux-ci certains sont des hommes ou femmes de corps, de condition de mortemain et formariage. Ils ne pouvaient disposer de leurs biens par testament et s'ils mouraient sans enfant légitime leur succession revenait au seigneur. La condition de formariage leur interdisait de se marier sans la permission de leur seigneur à une femme libre ou qui dépendait d'un autre seigneur. Une fille ou une femme mainmortable ne pouvait quitter Villers pour suivre son mari sans permission. Il nous est resté deux actes d'échange de serfs entre Étienne Il de Saint Marcel et le comte et la comtesse de Rethel. Ne serait-ce que par leur forme juridique ils nous montrent la dépendance où étaient ces hommes et ces femmes. A Villers ils étaient encore au milieu du XVe siècle au nombre de douze dans un village qui devait comprendre une centaine d'habitants. Serviteurs du seigneur ils lui devaient quand même une redevance annuelle en nature.
Les autres hommes pouvaient hériter et se marier librement, mais ils étaient soumis aux corvées, aux redevances en nature imposées par ménage - par feu - et supportaient en plus pour leurs' 'héritages" , c'est-à-dire leurs maison et terres, une taxe foncière, le cens. Ils devaient au seigneur un terrage, c'est-à-dire livrer en ses greniers un douzième ou un quatorzième de leurs récoltes ainsi que des redevances pour les bêtes de trait. L'aveu de Geoffroy de Villers signale encore les droits sur les ventes et successions, sur le commerce du vin. Il y faut ajouter les obligations résultant du droit d'ost, le service de garde au château de Mézières. Et il y avait aussi la dîme d'église. Mais ce qui marquait le plus la dépendance du villageois vis-à-vis du seigneur, c'est qu'en ce dernier pouvoir et justice étaient confondus. En 1444 la haute justice comprenait encore le droit de pendaison. Même la basse justice réservée aux délits mineurs était dissuasive. 60 sols parisis d'amende à qui allait couper un peu de bois dans la Warenne (la garenne), endroit réservé pour la chasse du seigneur, c'était à peu près ce que coûtait un muid de froment soit environ sept quintaux et demi. Ou encore, quoique dans ce domaine il soit difficile d'être affirmatif, le prix de la récolte qu'on pouvait obtenir sur un champ de 2 à 3 hectares, quand tout allait bien. Une poule, la géline qui était généralement l'objet des redevances valait 4 deniers.
Une amende de 180 poules! Quel paysan dans son petit courtil pouvait pratiquer un tel élevage? Un porc coûtait 40 sols.
Et le système de perception des amendes était bien réglé. Le maire choisi par le seigneur parmi les villageois pour administrer, diriger les travaux agricoles et les corvées, s'occuper de la police générale et percevoir les amendes et les redevances avait à sa disposition pour ce faire un sergent et recevait en rémunération une partie desdites amendes. Ainsi le seigneur de Villers constate en 1444 que sa justice, malgré la part laissée à ses agents lui rapporte davantage que l'impôt foncier.
Il est vrai que le montant du cens paraît faible même pour un petit village. On est loin de la rente en nature qu'avait faite le comte de Rethel à Étienne de Saint Marcel en plus de ce que ce dernier pouvait tirer du fief. Au XVe siècle la pauvreté des habitants de Villers devait être grande.
En était-il de même pour Saint Marceau ? A priori on pourrait le penser : deux territoires voisins ayant eu au départ les mêmes seigneurs et soumis dans la hiérarchie féodale à la même châtellenie de Mézières. Mais la comparaison des notices cadastrales établies par Teruel en 1656 montre des évolutions différentes. Saint Marceau est un village qui commence à sortir de l'économie féodale, à l'inverse de Villers dont le seigneur monopolise l'activité à son profit et dont la population à en juger par les impôts prélevés voit ses ressources diminuer.
Teruel propose de relever la taille, c'est-à-dire l'impôt sur les personnes, de Saint Marceau de 517 livres à 580, alors que pour Villers il est d'avis de la réduire de 810 livres à 503. Sans doute les terrains de Villers sont moins favorables à la culture que ceux de Saint Marceau, mais la raison essentielle de cette évolution différente est dans la répartition de la propriété. Au milieu du XVIIe siècle les habitants de Saint Marceau ne possèdent encore que 13% des terres, mais ils exploitent 57% de celles-ci pour le compte de propriétaires lointains en fermiers et non comme domestiques. À Villers le seigneur résidant possède 45% des terres par lui-même et il semble bien que parmi les censes une bonne partie appartenait à sa famille. Les habitants ne possédaient que leur petit courtil.
Remarquons à ce propos que dans l'aveu de 1444, la superficie des terres labourables est calculée par roie : 40 jours à chacune roie pour la ferme de la Maison forte de Geoffroy de Villers, cela signifie une superficie glèbale de 120 jours. L'assolement triennal est un système établi, tellement normal qu'on ne conçoit pas qu'il puisse y en avoir un autre. Il a, comme on l'a vu, contribué au morcellement des terres et retardé pour les villageois l'accession à la propriété. On ne pouvait participer à la culture commune tant qu'on ne possédait pas une étendue de terres normalement partageable. À moins de se contenter dans une première étape d'un échange de services avec un laboureur. La seule ressource, en dehors du jardin, était alors l'élevage. D'où l'importance de la vaine pâture, des usages, des communaux. Mais tandis que la communauté des villageois de Saint Marceau obtient du chapitre de Mézières l'usage du Bois de Florainville, à Villers ce sont les chanoines qui exploitent pour leur compte les 150 arpents qu'ils possèdent. Les habitants qui n'ont aucun pré partagent seulement avec ceux de La Francheville et de Semeuse des bois qui devaient être médiocres, puisque, par hypothèse, situés aux confins des trois territoires, ils ne sont plus signalés sur la carte de Cassini à la fin du XVIII° siècle. Là encore, c'est le seigneur de Villers qui possède à côté des chanoines l'essentiel des prés et on a vu qu'il se réservait les divers bois pour son usage personnel. Tandis qu'à Saint Marceau les signes d'une communauté vivante, accrocheuse même, sont nombreux, Villers dépérit de l'égoïsme féodal, sans réaction de ses habitants.
Tout cela renforce encore la présomption que le groupement d'hommes établi à Saint Marceau par les moines de Thin a conservé, même quand il a été incorporé dans le fief de Villers, grâce sans doute aussi à une certaine protection des chanoines de Mézières, une vie à part, organisée de façon plus libérale que celle que les seigneurs de Villers avaient imposée dans leur domaine. L'influence de Thin a dû durer assez longtemps puisque les moines avaient encore à la fin du XIV° siècle à Saint Marceau un bâtiment d'exploitation. Pourquoi n'auraient ils pas fait preuve des mêmes dispositions que celles qu'ils auront dans la création de Dommery. En 1216, avec l'accord de Mouzon, est délimité sur le domaine de Thin ce nouveau village et les moines décident que les habitants bénéficieront du régime de la loi de Vervins.
Celle-ci était une variante de la loi de Beaumont que l'archevêque de Reims, Guillaume-aux-blanches-mains, celui-là même qui avait repris à l'abbaye de Mouzon l'église de Saint Marceau pour la donner au chapitre de Mézières, avait accordée à la ville de Beaumont en Argonne. C'était une charte d'affranchissement libérant les hommes de l'emprise des seigneurs sur leurs corps et leurs biens et donnant aux communautés villageoises une certaine autonomie de décision.
La charte de Beaumont, qui date de 1182 avait eu rapidement un grand succès auprès des serfs qui désertaient les communes non affranchies et des bourgeois avides de liberté. La loi ou coutume de Vervins, avec quelques différences de réglementation, ressortait du même esprit. Le seigneur se réservait un domaine, gardait le four et le moulin, mais donnait la propriété de la plus grande partie du sol à la communauté des villageois. Quiconque résidait ou s'établissait dans le village était libre, bourgeois, et recevait des mains du maire et des échevins une maison et des terres. À Dommery chaque bourgeois devenait ainsi propriétaire d'une maison et d'un jardin de 21 verges et de 800 verges de terres, soit environ 3 hectares.
Sans doute les villageois restaient soumis à leur seigneur. Ils lui devaient des droits de bourgeoisie, un cens, une part de récoltes, des redevances pour les usages des eaux et des bois. Le seigneur était toujours le chef militaire qui pouvait les requérir pour l'ost, la chevauchée ou la garde.
Le maire et les échevins restaient les représentants du seigneur. Ils veillaient à l'exercice de ses droits, mais désormais choisis par la communauté dans son sein, ils administraient le village, étaient chargés de la police, rendaient la justice par procuration du seigneur aux plaids généraux qui se tenaient trois fois l'an.
Les villageois pouvaient s'organiser, défendre leurs droits. Des prescriptions de droit civil et de droit pénal ainsi que des règles de procédure étaient fixées par la Coutume, l'arbitraire du seigneur était limité. Un exemple: à Dommery les dégâts commis dans les bois étaient punis de 5 sols d'amende contre 60 à Villers. Le villageois actif et chanceux, car la loi de Beaumont ou de Vervins ne supprimait par les conditions difficiles de l'époque, pouvait obtenir une certaine indépendance économique.
Les habitants de Saint Marceau n'ont pas plus bénéficié d'une charte d'affranchissement que ceux de Villers, mais l'état des deux fiefs au XVIIe siècle laisse penser que leurs conditions de vie ont été plus proches de celles de Dommery que de celles de Villers. À Villers, Étienne de Saint Marcel et ses successeurs semblent avoir usé à plein de leurs privilèges féodaux. Les conditions dans lesquelles saint Marceau a été créé ont permis la formation d'une communauté vivante, apte à se défendre contre un seigneur lointain et, quand les deux fiefs furent séparés, contre des seigneurs non-résidents.

DOCUMENT N° 3
Bail emphytéotique concernant le Bois de Florainville loué par le Chapitre de Mézières à la communauté des habitants de Saint Marceau en /679 (Arch. Dép. Ardennes, G 58).
À tous ceux qui ces présentes lettres verront ou orront Louis de Manconnaux conseiller du Roy garde des sceaux établi aux contrats du baillage de Vitry siège et ressort de Sainte Menehould salut. Savoir faisons que pardevant Jean Salmon et Philippe Pellerin notaires royaux tabellions gaudenottes (spécialisés en matière forestière) héréditaires au Baillage de Vitry résidant à Mézières furentprésents en leurs personnes vénérables Mr Pierre Vuatelet prêtre chanoine de l'église collégiale Saint Pierre de Mézières et greffier du chapitre d'icelle, Mr Thiery Tisserant aussi prêtre chanoine et procureur dudit chapitre et Mr Regnault Charlier aussi prêtre et chanoine et procureur dudit chapitre et Mr Regnault Charlier aussi prêtre et chanoine de ladite église députés de Messieurs les vénérables Doyen chanoines et chapitre d'icelle pour l'effet qui en suit par aises capitulaires du vingt-huit novembre dernier et cinquième du présent mois et an d'une part. Et Guillaume Lancelot maçon, Jean Paltot, Guillaume Moyer tisserands, Jean Paris maçon demeurant à Saint Martial sur le Mont tant en leurs noms que comme procureurs fondés de procuration spéciale à l'effet des présentes des habitants et communauté dudit lieu passée pardevant les échevins en la Justice dudit Saint Martial le dix-huitième jour desdits mois et an ainsi qu'il est apparu aux notaires soussignés par l'original d'icelle demeurée annexée à ces présentes après qu'elle a été paraphée ne varietur des prêtres et des dits notaires, et par lesquelles habitants et communauté dudit Saint Martial lesdits Lancelot Paltot Moyer et Paris promettent et s'obligent solidairement sans division ni discussion faire agréer et ratifier ces présentes dans un mois d' huy prochain et ce faisant les faire obliger en fait de communauté à la garantie des choses ci-après mentionnées à peine de tous dépens dommages et d'autre part par lesquelles lesdits sieurs chanoines députés (confirment) qu'en l'année mil cinq cent quatre-vingt le neuvième de juilletleurs prédécesseurs Doyen chanoines et chapitre de Saint Pierre de Mézières avaient par devant Quinart Notaire royal présent témoin fait bail emphytéotique en forme de transaction aux habitants et communauté dudit Saint Martial sur le Mont de la quantité de soixante-quatorze arpents et un quarteron de bois appartenant audits sieurs du chapitre, communément appelé le bois.de Florainville situé sur le ban dudit Saint Martial moyennant quatre-vingt-quatre livres pour chacun an, et qu'en l'année mil six cent cinquante-trois les habitants reprirent encore vingt autres arpents dudit bois desdits sieurs chanoines en continuation dudit bail fait aussi lors à Nicolas Des Lors écuyer sr de Neufmasnil capitaine de Vuarq. L'expiration duquel bail emphytéotique en quatre-vingt-dix-neuf ans serait arrivée le neuvième juillet dernier et comme les soixante-quatorze arpents de bois, d'une part et vingt arpents d'autre part ne sont maintenant en l'état que lesdits habitants s'étaient obligés de les rendre auxdits sieurs chanoines, et lesdits habitants les auraient priés et requis de n'en point faire faire la visite par un sergent forestier, qu'ils ont droit de faire exploiter lesdits bois, ni par les juges ordinaires d'iceux pour faire l'évaluation des dégâts et du mauvais état auquel ils sont mais bien de leur renouveler ledit bail emphytéotique attendu qu'ils ne se peuvent passer d'occuper lesdits bois pour la commodité de leur communauté et pour la nourriture et pâturage de leurs bestiaux. À quoi lesdits sieurs chanoines et en considération des trois quarts des dîmes qu'ils ont audit Saint Martial et pour éviter les procès et différends qui auraient pu naître pour ce sujet ils ont par les présentes baillé et délaissé à titre de bail emphytéotique de quatre-vingt-dix-neuf ans qui ont commencé au jour de la Nativité de Notre Seigneur de l'année dernière mil six cent soixante-dix-huit et finiront à pareil jour lesdites années finies et révolues ... Et en vertu de l'arrêt de la cour du Parlement de Paris du vingt-trois décembre mil cinq cent soixante-dix-huit ils commencent la jouissance dudit jour de la Nativité de Notre Seigneur dernière à charge de rendre et payer par chacun an desdites quatre-vingt dix neuf années auxdits Srs Doyen, chanoines et chapitre la somme de cent livres ts de loyer que lesdits habitants et communauté stipulant comme ci-dessus promettent et s'obligent solidairement sans division ni discussion bailler et payer auxdits Srs chanoines leur procureur ou au porteur. Dont la première année de paiement échouera aujour de Noël prochain attendu que depuis l'expiration du bail précédent lesdits habitants ont joui desdits bois par tacite reconduction et continuer lesdites années en deux paiements égaux de Saint Jean-Baptiste et de Noël par égales portions jusqu'à l'expiration des présentes, et outre de bien et dûment gouverner et administrer lesdits bois comme des bons économes doivent faire et sans pouvoir céder ni transporter vieux bois partager ni portion à qui que ce soit sans le consentement exprès et par écrit des Srs Doyen. chanoines et chapitre à peine de tous dépens dommages et intérêts et de résolution dudit bail, expédition en bonne forme, duquel lesdits habitants stipulant comme dessus promettent et s'obligent solidairement fournir auxdits Srs chanoines incessamment les actes a été convenu stipulé et accordé entre les parties qui promirent expressément satisfaire aux clauses et conditions contenues au présent bail sous l'obligation des biens et revenus temporels desdits Srs chanoines et des corps et biens desdits habitants et communauté qu'ils ont en le faisant du tout soumis à telle juridiction et contrainte qu'il appartiendra, renonçant en le faisant à toutes choses à ce contraires et au droit de faire générale renonciation non valoir fait et passé audit Mézières en l'étude dudit Pellerin l'an mil six cent soixante-dix-neuf le vingtième jour de décembre avant midi, et ont signé lecture faite.
Et ensuite les écrits.
Et le vingt unième jour de janvier 1680 environ les dix heures du matin sont comparus par devant Philippe Pellerin Notaire royal gaudenotte héréditaire au Baillage de Vitry résidant à Mézières soussigné en présence des témoins ci­après nommés Jean Gilmer meunier, Jean Randoux, Vivien COSSOKl., Thomas Jonnal, Jean Husson et Jean Launois laboureurs, Gilles, Jean Paris, Guillaume Lancelot maçons, Jean Titeux charpentier, Jean Lebrun laîné et Jean Lebrun le jeune couvreurs. Vivien Belval maréchal, Jean Husson l'aîné, Henry Colin, Pierre Jacquemin, Nicolas Dhime manouvriers, Guillaume Meyer, Guillaume Vouet et Jean Paltot tisserands en toile, Jean Poirier et François Oudet cloutiers, Poncette Cagneaux veuve de Jean Jessener. Jeanne Gobron veuve de Jacques Paris, Jeanne Portelet veuve de Benoit Paris, Jacqueline Jacquemin veuve de Jean Lambert, Catherine Calteau veuve de Nicolas Pillart et Jeanne Lefort veuve d'André Oudet, tous habitants de Saint Martial sur le Mont faisant et composant toute la communauté dudit lieu lesquels après que lecture leur a été présentement faite par moi notaire présent, lesdits témoins du bail emphytéotique de quatre-vingt-dix-neuf ans à euxfait du bois de Florainville par messieurs les vénérables Doyen chanoines et chapitre de Saint Pierre de Meziéres ... Ils ont tous déclaré l'avoir pour agréable, le ratifient, confirment et approuvent, veulent, consentent et accordent qu'il soit exécuté ... apposé le scel royal ... audit Saint Martial sur le Mont à l'issue de la messe paroissiale dudit lieu au jour et an susdits en présence de vénérable et discrète personne Me Jean Chauvet prêtre et curé de Viller et dudit Saint Martial et de Guillaume Pellerin marchand à La Francheville témoins qui ont signé avec moi et lesdits comparants aussi signé et marque après lecture faite.
(Et l'acte - déjà allégé - ne se termine pas là. En 1694 les chanoines demandent à Me Thomé successeur de feu Pellerin délivrance d'une copie pour obtenir de la communauté de Saint Marceau 300 livres représentant 3 années de loyer non réglé).

DOCUMENT N° 4
Terres de la ferme de l'église Notre-Dame de Mézières de 1652
C'est une déclaration des héritages de la cense métairie appartenant à l'église Notre-Dame de Mézières pour moitié et à Jean Millard pour l'autre moitié. Iceux consistant en maison, étable et jardin, chènevière, prés et terres sises au village, ban et terroir de Saint Martial sur le Mont et ban circonvoisin avec leur lieu, situation, tenant et boutissant donnés par nous M. Aubertin Husson Jean Paltot échevins en la Justice dudit lieu et Benoît Paris laboureur et détenteur d'icelle cense. C'est en la forme et manière qui s'en suit:
Et premier
Une maison contenant deux taratiés avec un petit jardin derrière icelle tenant d'une part la masure la Poncette Caneaux d'autre à un petit jardin appartenant de ladite cense d'un bout la cense Mercier d'autre faisant fond de rue
Item quatre taratiés de bâtiment réduit en masure royé Jean Robert d'une part d'autre ladite cense d'un bout audit Robert d'autre sur la rue
Item un jardin ainsi qu'il se contient royé d'une part le Seigneur d' autre Jean Robert et d'un bout la cense Mercier et d'autre sur rue
Item une autre petite chenevière sise à la Houppe royée d'une part la cense Jean Dogny d'autre Jean Robert d'un bout Monsieur Delestre d'autre le chemin de vieuxmaison
La terre La roie de l'Agneau
1 Item trois jours de terre au lieudit Gausirut rayé d'une part la cense Mercier d'autre au Seigneur d'un bout audit Mercier d'autre au Seigneur d’un bout audit Mercier d'autre à du même
2 Item demi jour de terre en ce même lieu rayé d'une part Jean Randoux d'autre Jean Dagny d'un bout la cense Mercier et d'autre au Seigneur
3 Item sept quartels de terre ou environ à la Gohier royé d'une part la Mercier d'autre la cense Charpentier d'un bout ladite Mercier d'autre
4 Item six quartels de terre à Gausirut royé d'une part la cense Mercier d'autre la Mercier d'un bout au Seigneur d'autre à eux-mêmes
5 Item un jour de terre lieudit l'Agneau rayé d'une part la cense Mercier d'autre la cense Charpentier d'un bout à Jean Randoux d'autre à ladite cense
6 Item un cent de terre en ces mêmes lieux rayé d'une part la cense Charpentier d'autre Jean Dagny d'un bout à Jean Randoux d'autre la Mercier
7 Item deux jours trois quartels de terre ou environ rayé d'une part le Seigneur des Ayvelles d'autre la cense Charpentier d'un bout la cense Boulan d'autre la cense M. Labair
8 Item trois quartels lieudit La Folie rayé le chemin d'une part d'autre Jean Dagny d'un bout à Jean Jessener d'autre le chemin
9 Item six quartels de terre lieudit Gravière royé d'une part Charpentier d'autre Jean Dagny d'un bout audit Charpentier d'autre Mercier
10 Item trois quartels dans même lieu ou environ royé le Seigneur d'une part d'autre Jean Vouet d'un bout Charpentier d'autre Mercier
11 Item trois quartels en ce même lieu rayé d'une part Boulan d'autre Charpentier d'un bout au Seigneur d'autre Jean Dagny
12 Item demi jour de terre en ce même lieu rayé d'une part Boulan d'autre d'un bout Charpentier d'autre le Sieur de Raincourt
13 Item un demi cent à Rainbausaule rayé d'une part Jean Lebrun d'autre Jean Robert d'un bout Henri Lefebvre d'autre ledit Robert
14 Item trois jours de terre au Bois de Saule rayé d'une part le Seigneur d'autre Mr de Lesstre d'un bout au Sieur de Raincourt d'autre Jean Randoux
15 Item un cent de terre en ce même lieu rayé d'une part la cense de Lesstre d'autre Boulan d'un bout au Seigneur d'autre à Jean Randoux
16 Item demi cent lieudit La Hamelle royé d'une part la cense d'Ambly d'autre Aubertin Husson d'un bout à d'autre à
17 Item demi jour de terre en ce même lieu rayé d'une part la veuve Brisbart d'autre à d'un bout au Seigneur d'autre à eux-mêmes
18 Item trois quartels ou environ lieudit Le Pré Baude royé d'une part Jean Jessener d'autre à d'un bout à eux-mêmes et d'autre à Charpentier
22 jours
La roie de Pré Mélot
19 Item un jour de terre au Pré Mélot rayé d'une part la cense Mercier d'autre à Charpentier d'un bout aux Chanoines d'autre à Charpentier
20 ……………………..
15 jours 3/4
La roie de Grandchamp
31 Item trois jours de terre au lieudit Monte au Champ rayé d'une part au bois des Ayvelles d'autre(Chesser ?) d'un à eux-mêmes d'autre Jean Robert
32 ………………………..
47 ……………………….
25 jours J /4
Fin des terres
Les Prés
Item trois fauchées de prés à Hircherut royé d'une part le bois de Chalandry d'autre la terre des Ayvelles d'un bout à Mercier d'autre à Baudesson Cosson.
………………………………………………………………..
Tous lesquels héritages ont été dénommés et déclarés véritables par la présence de Jacques Paris, et Jean Randoux laboureurs demeurant audit Saint Martial lesquels ont la connaissance de savoir le contenu de ce qui est dans ladite déclaration et ont affirmé véritable ce que dessus par devant nous échevins susnommés pour servir à ce que de raison. Fait le quatorzième jour d'avril mil six cent cinquante-deux et ont signé et marqué avec nous ...

DOCUMENT N° 5
(Un bail de 1732 avec ses formules notariales comportant toujours l'obligation de cultiver « par soles et saisons » . Arch. Dép. Ardennes, G 141 )
Par devant les notaires royaux de Vitry et Vermandois à la résidence de Mézières et du Pont de Pierre au bout de ladite ville y demeurant soussignés furent présents messieurs Louis Ostance prêtre curé et doyen de l'église paroissiale de Notre Dame de Mézières, Nicolas Leseur, Thiery Nottin et Jean Mansuet échevins, et Jean François Colin procureur syndic de ladite ville de Mézières y demeurant au nom et comme administrateurs du revenu temporel de l' église paroissiale de ladite ville, lesquels ont volontairement reconnu et confessé avoir baillé et délaissé el titre de bail à ferme et pension en grains pour neuf années et neuf dépouilles consécutives et en suivant(e) l'une l'autre qui commenceront au mars de l'année mil sept cent trente-quatre, et promettent faire jour pendant ledit temps et jusqu' à fin et expiration desdites neuf années à Nicolas Landragin marchand demeurant à Saint Marceau sur le mont de présent en cette ville à ce présent et acceptant preneur pour lui audit titre de bail à ferme et pension en grains pendant ledit temps de neuf années, c'est à savoir une cense sise audit Saint Marceau sur le mont appartenant à ladite église de Notre-Dame de Mézières consistant en terres et prés et ainsi que lesdits héritages composant ladite cense se contiennent poursuivent et comportent sans en rien excepter retenir ni réserver que ledit Landragin a dit bien savoir et connaître et ainsi que les précédents fermiers en ont bien et dûment joui ou dû jouir à la charge par ledit preneur de bien labourer et cultiver les terres par soles et saisons convenables sans pouvoir les déroyer ni désaisonner, de convertir en putifs les pailles en provenant et les faire conduire consommer sur lesdites terres tant près que loin sans pouvoir les divertir ailleurs; d'entretenir les prés dépendant de ladite cense à faux courante, de payer les cens et droits seigneuriaux dont lesdits héritages peuvent être tenus et chargés, et de rendre le tout en bon et suffisant état fin du présent bail fait en outre moyennant la quantité de cinquante septiers de grains moitié froment et moitié avoine ancienne mesure de Mézières, bon grain bien vanné et nettoyé que ledit Landragin preneur promet et s'oblige de bailler et livrer chacun an entre les mains du sr Mainbourg et receveur de ladite église et dans ses greniers audit Mézières au jour de Saint Martin d' hiver pendant tout le cours du présent bail, à commencer la première année de livraison de l'avoine audit jour Saint Martin d' hiver de ladite année mil sept cent trente-quatre, et année pleine tant en froment qu'en avoine au même jour de Saint Martin de l'année suivante mil sept cent trente-cinq, et ainsi continuer d'année en année el pareil jour la livraison desdits grains durant ledit bail, duquel ledit preneur ne pourra céder le droit en tout ou partie à qui que ce soit sans le consentement exprès et par écrit desdits Srs administrateurs, à peine de privation d'icelui et de toutes pertes dépens dommages et intérêts, dont il sera tenu de donner une expédition et fin dudit bail une déclaration par nouveaux royants et budants de tous les héritages composant ladite cense vécue et affirmée par devant la justice des lieux auxdits Srs administrateurs. Le tout en bonne forme et à ses frais et dépens auquel présent bail sont intervenus Jean Lefebvre laboureur demeurant à Boulzicourt, et Jean Titeux aussi laboureur demeurant audit Saint Marceau sur le mont de présent en cette ville lesquels après que lecture leur en a été faite se sont volontairement obligés et s'obligent par ces présentes solidairement l'un pour l'autre un d'eux seul pour le tout, sans division discussion ni fidejussion à quoi ils renoncent et tous comme principaux preneurs à toutes les charges, clauses et conditions portées par ces présentes envers ladite église de Mézières car ainsi et pour l'exécution des présentes et dépendances lesdites parties ont élu leur domicile en leur demeure ci-devant déclarée auxquels lieux/promettant et obligeant lesdits preneurs solidairement corps et biens/renonçant/ fait et passé audit Mézières es études l'an mil sept cent trente-deux le vingt-trois mars du matin et ont lesdites parties signé la minute des présentes.

DOCUMENT N° 6
Aveu et dénombrement de Geoffroy de Villers. 28 janvier 1444 (Trésor des chartes du Comté de Rethel, MLXXI)
Gieffroy, seigneur de Villers, de Belestre et de Chapes, chevalier, fait aveu et dénombrement au Comte de Nevers et de Rethel, à cause du château de Mézières, pour la ville du dit Villers, la forte maison d' illuecques, les fossés, ainsi qu'elle se contient tout autour, la haulte justice, basse et moyenne d'icelle ville de Villers, que chascun an ne puellent valoir ... 4 livres parisis ...
Item, une cense qui est à moi et appartient, estant en ladite forte maison, en laquelle puelt avoir à chascune roye 40 jours de terre située et assise en plusieurs lieux ondit terroir ...
Item, une autre maison et cense séant audit Villers emprès le presbitaire ... ensemble 20 jours de terre à chascune raye, /5 fauchiez de prez; sean ondit terroir ...
Item, 50 fauchiez tant prez comme pasturages ...
Item, les cens d'icelle ville de Villers dehus chascun an au jour Saint Jehan­Baptiste, qui puellent valoir chascun an ... seze s. par.
Item, une taille deue audit Villers chascun an, aujour Saint Martin d' ivert, qui puelt valoir environ 70 sols parisis, sur laquelle somme l'église d'icelle ville prent chascun an 10 s. par.
Item, la haye et le bois que l'en dit la Warenne avec 3 fauchiez de prez ou environ joingnant à icelle, qui puellent valoir 12 s. par. ou environ, en telle manière que nuulz ne puelt tailler ne copper en ladite warenne ou bois qu'il ne commete amende de 60 s. par.
Item, 12 personnes de condicion servile tant hommes comme femmesde corps, qui chascun an me doivent, c'est assavoir ceux qui sont mariés au jour Saint Remy, ung stier bled; et semblablement les bourgoises vesves un stier bled, et celles qui sont mariées me doivent chascun an une poule de recognaissance avecques six quartels avoinne et 2 poules; qu'ils et chascun d' eulx sont de tele nature et condicion qu' ilz ne puellent marier sans mon ordonnance et consentement, sinom à ceulx de leur condicion à peinne et sur peinne destre enchériz d'amende voulontaire; en tele manière que s'ils vont de vie à trespas sans avoir hoir de leurs corps, que toute leur succession me doit competer et appartenir tant en meubles comme en héritages, sans ce que leurs pères, mères, ne autres leurs amis charnelz, y puissent jamais avoir, demander ne prendre quelque chose que se soit fors moy. Et s'il estoit aussi que aucuns de mesdis bourgois et bourgoises fust au lit malade, je puis, à cause de mon droit, metre tous ses biens en inventaire et sur iceulx commetre garde de par moy jusques ad ce que Dieu aura disposé et fait sa volonté deulx et qu'il sera alé de vie à trespas ou retourné à convalescence.
Item les terrages dudit Villers, qui souloient valoir ung muy avoinne et de présent il: ne valent que 4 stiers ou environ.
Item, que tous les bourgois et bourgoises de ladite ville de Villers, qui tiennent chevaux ou autres bestes trayans, me doivent chascun an pour chascune beste ung stier bled et ceulx qui ne tiennent nuulz chevaux trayans me doivent au jour Saint Remy aux XX jours six quartelz avoinne et deux poules, et pour chascun cheval six quartelz avoinne.
Item me doivent lesdis bourgoir fauchier, jenner, amener et deschargier en ma grange empris rnadite forteresse, à leurs despens, ung prey que l'en appelle le Bruyt, contenant 8 fauchiez ou environ, en te le manière que s'il avenoit que par leur faulte ou négligence l'erbe ou foing fut perdu après ce qu' il: auroient estez sommez et requis souffisamment par mon sergent il: seroient en amende de 15 sols par. et si seroient tenus de restituer ledit foing en ma dite grange ou la valeur d'icelui.
Item que tous ceulx tenans prez, terres, ne autres héritages en madite ville et terroir de Villers, me doivent, s'ilz : vendent aucuns heritages, ventes, mais ilz ne doivent vests ne devests.
Item, Drouet de Mollains, a cause de Melot, safemme, tieng de moyen arrière fief ce qui s'ensuit: c'est assavoir une maison avec le jardin derrier, ainsi comme taut se comporte, seans en la ville d' Eslers, nommée la maison de pierre, en tele manière que tous les demourans en icelle sont frans, quictes et exemps de paier aucunes tailles ou impost; au prince, et y puet faire et construyre four ou molin, se bon lui samble; et ne pue lient aussi les mayeur et justice ou sergent dudit Eslers faire quelque exploix; et aussi puelent les demourans en icelle maison vendre vin ou autre bruvage sans paier quatriesme ne autres exaccions à quelque personne que ce soit.
Item, 4 quartelz de terre séans en Harissart.
Item, ung hommage que soulait tenir de moi feu Gillet d'Atigny, qui povait valoir environ 18 deniers.
Item, mes bois que j' ay et m'appartiennent seans entre Villers et Saint Marcel, joignant des bois de Floranville et les bois des Ayvelles avec les bois des Mouyés ou nuulz ne peult taillier ne coper en iceulx qu'il ne commete amende de 60 solz par.

DOCUMENT N° 7
Les notices cadastrales de Téruel (ou Terwel)
Pour comprendre leur nouveauté, empruntons ces quelques lignes à un livre de Paul Renaudin : Le Maréchal Fabert (chez Desclée De Brouwer et Co, 1933).
« En 1652, les jeux sanglants des princes continuent. Les troupes de Charles de Lorraine vivent en Champagne, sans guerroyer, de pillage et de vol. Puis Condé, après l'échec de ses négociations avec la Cour, revient avec les Espagnols, reprend Château-Porcien, Rethel, Sainte-Menehould, Bar-le-Duc. Turenne, qui est rentré dans l'obéissance au Roi, revient les chasser de la plupart de ces places. Fabert, nommé lieutenant général pour la frontière de Champagne, écarte autant qu'il peut du Sedanais tous les faiseurs de fléaux ... La réforme des quartiers d’hiver le conduit à une autre, qui la dépasse singulièrement. Ce n'est rien moins que la réforme de l'impôt. Pourquoi le peuple est-il écrasé de taxes? Pour subvenir aux guerres, pour entretenir des armées. Et pourtant le trésor est toujours à sec ... L'argent du peuple n'arrive pas jusqu'au trésor. L'impôt est mal assis, mal perçu; et il s'évanouit entre diverses mains avant d'arriver au Roi. Il faut changer cela. Fabert a son plan. À la fin de 1656, il envoie à Mazarin un mémoire, oh ! pas long, mais précis, nourri, décisif, sur la réforme de la taille. A la taille personnelle, il faut substituer la taille réelle, appuyée sur une classification des villages au point de vue de leur richesse, sur un cadastre. Cela s'appelle. : Mémoire que M. de Termes fera voir à Son Eminence, en luy présentant la carte de Champagne faite par M. Téruel.
« M. de Termes, c'est un officier de Sedan, ami et homme de confiance du gouverneur. Téruel, c'est un capitaine que Fabert a fait venir pour l'aider à établir les quartiers d' hiver des troupes, et auquel il a fait donner une commission pour enquêter dans tous les villages de Champagne, connaître l'étendue et la valeur du terroir, le nombre des charrues, les ressources de toute sorte: bref pour établir un cadastre sérieux, qui servira à la fois pour le logement et la subsistance des troupes et pour l'assiette du futur impôt » .
Ajoutons que Téruel, originaire d'Allemagne, réalisa ses biens dans ce pays, acheta la seigneurie d’Étrépigny, obtint ses lettres de naturalité en 1661, avant d'épouser Marie de Conquérant, le contrat de mariage étant passé au château de Villers.

CHAPITRE III
LES PREMIERS SEIGNEURS RÉSIDANT.
LA VIE DES HABITANTS JUSQU'A LA RÉVOLUTION

« L'an mil six cent quatre-vingt-six, le 27eme jour du mois d'avril est décédé en son château dans cette paroisse Messire Antoine de Greffin, chevalier, seigneur de Saint Marceau, Dom, Flize, Amblimont, Maréchal de camp des armées de Sa Majesté et Brigadier général de la Cavalerie légère, âgé de 77 ans, après avoir reçu tous les sacrements dans la communion de la Sainte Église Catholique. A été inhumé le 28 avril dans l'église dudit Saint Marceau où nous l'avons porté avec les cérémonies accoutumées. En foi de quoi j'ai signé: J. Chauvet, Curé de Villers et de Saint Martial sur le Mont, annexe ». (Doc, n° 8, p. 224).

L'origine du château
Les registres paroissiaux de Saint Marceau dont sont extraites ces quelques lignes ont été conservés depuis l'an 1652 à peu près complets (Doc. n° 9, p. 225). Ils nous renseignent beaucoup sur la vie du village et déjà nous donnent une certitude sur l'existence d'un château à la fin du XVIIe siècle. On ne peut toutefois en tirer des précisions sur la date de construction de celui-ci : Antoine de Greffin, Baron des Fourneaux, d'une famille originaire de Touraine dont une branche s'était établie en Champagne, avait reçu la seigneurie et la demeure de Saint Marceau de sa femme Claude de Pouilly qu'il épousa en 1650.
Celle-ci s'était mariée en premières noces avec Philippe de la Barge, seigneur de Chaltray, Villers devant Mézières et autres lieux, dont elle avait eu deux filles mortes en bas âge. Villers devant Mézières? Est-ce Philippe de la Barge, en tant qu'héritier des anciens seigneurs de Saint Marcel, possesseurs de terres sur les deux territoires, qui aurait fait construire le château? Il semble bien pourtant que les Pouilly aient déjà été présents à Saint Marceau. C'est tout au moins ce qu'indique la généalogie familiale des Pouilly qui fixe la mort de Philippe de Pouilly, le père de Claude, vers 1628 au château de Saint Marceau.
Une erreur de transcription est toujours possible en ce domaine. Mais faut-il négliger la signature d'un Nicolas de Pouilly au milieu de quelques autres et de centaines de marques au bas d'un document de janvier 1589 : « La promesse et serment des Doyen, Chanoines, Clercs, Échevins, Maîtres des Postes, manants et habitants de la prévôté de Mézières de vivre et mourir dans la religion catholique, apostolique et romaine, de maintenir les privilèges et état des trois ordres du royaume, de résister à ceux qui ont violé la foi publique, rompu le droit d'union ». (Arch. Dép. Ardennes).
Les guerres religieuses ont été en effet violentes en Champagne. Une fois de plus la région est parcourue par des bandes que les catholiques et les protestants lèvent pour leur service. La Ligue y est très active et le meurtre du Duc de Guise et de son frère l'Archevêque de Reims en décembre 1588 la renforce encore. A Mézières en particulier on cherche les moyens de « préserver le pays des incursions de ceux de Sedan », où à la suite de la conversion en 1560 de Henri Robert de la Marck et de sa femme au calvinisme, la plupart de ses sujets avaient embrassé la religion réformée. C'est la raison de la promesse de 1589. Et en 1590, on verra le duc de Nevers également comte de Rethel, gouverneur de Champagne au nom de la Ligue, mais partisan assez tiède, faire appel au roi. Henri IV fait une démonstration armée entre Rethel et Sedan.
Quel était ce Nicolas de Pouilly dont la signature sur un document de 1589 montre qu'il habitait dans la prévôté de Mézières, c'est-à-dire très probablement à Saint Marceau ? La question serait de peu d'intérêt si elle ne permettait d'éclairer quelques petits événements de la vie du village et de montrer la complexité des alliances seigneuriales.
Françoise de Maillart, la petite fille de ce Jean de Maillart dont on sait qu'il possédait des terres à Saint Marceau épousa en 1539 un Nicolas de Pouilly. Celui-ci mourut avant 1550 et Françoise se maria en secondes noces avec Antoine de Montbeton; elle laissa à sa mort en 1577 des enfants des deux lits, mais il semble bien qu'elle ait vécu à Fléville et aucun des enfants de son premier mariage n'eut des attaches avec Saint Marceau.
Meyrac dans sa géographie des Ardennes, citant le lieu-dit de Montbeton à Saint Marceau fait état d'une tradition selon laquelle le Maréchal de Saint Paul y aurait livré un combat sanglant. On peut se demander si Meyrac qui semble avoir été un peu rapide dans ses investigations à Saint Marceau ne fait pas un amalgame entre deux faits divers.
Il existe à Saint Marceau un lieu-dit « la cour Montbeton » que les actes notariés du XIXe siècle placent un peu au-dessous de l'église à la gauche de la route qui conduit au cimetière actuel et qui a été certainement le siège d'une branche de la famille des Montbeton à Saint Marceau (en 1773 un document fait état du fief de Montbeton à Saint Marceau détenu par M. de Montbeton de Saint Vincent des Ayvelles). Or il se trouve qu'un Jacques de Montbeton qui fut Gouverneur de la ville et du château de Rethel de 1610 à 1629 épousa Renée de Saint Paul, la fille d'Antoine, un aventurier, capitaine puis maréchal de la Sainte Union (la Ligue) pour laquelle il livra d'incessants et furieux combats. La réputation de ce dernier était telle qu'il éprouva le besoin de rédiger une plaidoirie sous forme de souvenirs. Il signa ceux-ci Montbeton de Saint Paul en accolant à son nom celui de son gendre. C'est peut-être ce qui a fait dire à Meyrac qu'un combat sanglant s'était livré à Saint Marceau. Mais la tradition n'a rien d'invraisemblable.
Les registres paroissiaux donnent en tous cas une Prudence de Montbeton habitante de Saint Marceau comme marraine en 1656 de Prudence, fille de Jean Lebrun et de Gilette Randoux dont nous connaissons bien l'existence. D'après des généalogistes, cette Prudence, sa sœur Françoise et son frère Jean seraient bien nés à Saint Marceau, enfants d'Alexandre de Montbeton, frère de Jacques, le gendre du Maréchal de Saint Paul. On ne trouve pas trace d'Antoine, le nom du mari de Françoise de Maillart, dans les généalogies connues, mais celles-ci ne sont pas complètes et les erreurs y sont facilement commises. Ainsi les mêmes font mourir Prudence de Montbeton en 1656 le jour où elle a été marraine alors que les registres paroissiaux la désignent encore comme marraine en 1657 de Prudence Loiseaux, fille de Jean Loiseaux et de Poncette Randoux, encore une famille nombreuse de notre petit village. Alors, au risque de faire comme Meyrac un amalgame abusif entre des renseignements divers, pourquoi ne pas penser qu'à l'occasion de son remariage avec Antoine, grand'oncle de Prudence, Françoise de Maillart ait fait construire sur une terre qu'elle avait reçue de son père à Saint Marceau une maison qui est à l'origine du fief Montbeton de Saint Marceau, les premiers Montbeton connus étant originaires de Selles en Champagne.
Et Nicolas de Pouilly dans tout cela ? Peut-être un neveu du premier mari de Françoise ou un de ces cadets qui étaient hébergés chez un parent. S'il vivait à Saint Marceau, il est peu probable que ce fût à la cour Montbeton, mais dans la demeure qui était à l'origine du château actuel.
Quelques raisons font penser que c'est par l'intermédiaire d'une alliance avec les Raincourt que les Pouilly succédèrent aux La Glizeulle comme seigneurs principaux de Saint Marceau dans le dernier quart du XVIe siècle.
A l'occasion des preuves de noblesse qu'ont dû fournir les familles nobles de Champagne a été établi en 1574 un acte qui précise qu'un François de La Glizeulle, mort avant septembre 1533, eut comme épouse Marguerite de Luxembourg. Celle-ci, désignée comme dame de Saint Marcel sur le Mont, eut de ce premier mari un fils Jean, mort avant 1574 et se maria en secondes noces à Nicolas de Raincourt. De cette dernière union naquirent deux enfants, François et Françoise qui épousa Oger de Pouilly. Françoise, veuve une seconde fois, mourut en 1574 sans descendance.
C'est à peu près à la même date que vécut le dernier La Glizeulle, seigneur de Saint Marceau, Philippe. Le fils de ce dernier sera seigneur de La Francheville. Cela laisse supposer que Françoise de Pouilly hérita de sa mère au moins une partie des terres et sans doute une demeure à Saint Marceau et que, sans enfant, elle laissa celles-ci à son petit-neveu, Philippe de Pouilly. Les La Glizeulle, à cette occasion, durent céder ce qui leur restait.
L'hypothèse est d'autant plus probable que les Pouilly commençaient à avoir des biens dans la région de Saint Marceau. Un des frères d'Oger de Pouilly était Nicolas qui avait épousé en 1539 Françoise de Maillart. Et un autre, Gérard, avait marié sa fille à Jean d'Orthe qui possédait des terres à Dom-le-Mesnil. Par ailleurs, les Raincourt, venus de Val en Rethelois, ont entretenu des relations étroites avec les Pouilly. Et leur installation à Balaives au XVIIe siècle peut être due à Françoise de Pouilly. À cette époque le fief de Raincourt relevait du marquisat de Saint Marceau. Marguerite de Raincourt, dame de Balaives, se maria à Saint Marceau en 1687. Et un bail de la ferme de l'église Notre- Dame de Mézières signale des terres appartenant à un sire de Raincourt en 1652 à Saint Marceau.
Ainsi est-il probable que les Pouilly trouvèrent à Saint Marceau une petite maison forte construite pour les La Glizeulle qu'ils agrandirent. Quand un incendie détruisit il y a quelques années le toit du château actuel, il apparut nettement une différence dans l'appareillage des pierres entre les parties est et ouest. On peut imaginer que c'est Philippe de Pouilly qui fit faire cet agrandissement quand sa fille Claude épousa Philippe de la Barge, seigneur entre autres de Villers devant Mézières.
Celle-ci devait en effet être la dame de Saint Marceau jusqu'à la fin du XVIIe et selon toutes apparences une maîtresse femme. Alors qu'on ne connaît pas grand-chose de Philippe de la Barge, que son second mari Antoine de Greffin participait à tous les combats du temps, sous les ordres de Turenne ou contre lui parfois, et ne devait pas souvent prendre ses quartiers d'hiver à Saint Marceau, elle défendait activement ses droits en particulier dans les carrières de pierres de Dom-le-Mesnil.
Le calcaire oolithique qui forme la calotte du mont de Saint Marceau et constitue la couche dure de la côte du bathonien, c'est cette pierre jaune qui se taille et se sculpte facilement, utilisée pratiquement jusqu'à la dernière guerre dans la région. On la connaît sous le nom de pierre de Dom, car si des carrières ont été ouvertes à Saint Marceau, à Boulzicourt, à Flize, pour ne parler que de la zone proche, les plus importantes de celles-ci se trouvaient à Dom-le-Mesnil.
En 1582 Louis, duc de Nivernais et Rethelois, concède à Philippe d'Ambly, sieur des Ayvelles, capitaine de la ville et prévôté de Donchery, le droit de prendre pendant huit ans de toutes les pierres qui seront tirées des carrières de Dom, un denier par pied et pour la charrée de tentance et autres blocailles dix deniers, sous l'obligation de bailler au duc ou à son procureur fiscal de la Prévôté de Mézières, par chacun an, pour la reconnaissance, au jour de Saint Louis 25 août « trois pierres propres pour faire un manteau de cheminée, rendues aux Tournelles de notre ville de Mézières, à la charge toutefois de ne faire aucune chose payer aux échevins de nos villes de Mézières, Donchery et Warcq pour ce qu'ils voudront avoir pour les murailles et fortifications de leurs villes et aussi qu'il nous sera loisible durant ledit temps d'exempter dudit droit, telle personne que bon nous semblera » .
En 1598, les carrières de Dom livrent trois mille pieds de pierres de taille à deux sous le pied pour l'église Notre-Dame de Mézières. Les fiefs de Dom et de Flize, à cette époque, dépendaient de Josias de Tixier, écuyer, sire de Neufville, gentilhomme ordinaire de la Chambre du roi et de son épouse Jacqueline d' Angeny. Cette dernière s'est-elle mariée en secondes noces à un d'Orthe ? Toujours est-il que Dina d'Orthe, veuve de Philippe de Pouilly (désigné dans l'acte « vivant sieur d'Amblimont et de Saint Marcel sur le Mont ») fait aveu le 17 octobre 1627 « pour les droits de jouisson et autres domaines qu'elle a sur les terres de Dom et de Flize, qui soulaient appartenir à défunte dame Jacqueline d'Angeny et lui ont été adjugés par décret et arrêt de la Cour du Parlement de Paris du 19 décembre 1626 ».
Claude de Pouilly, la fille de Philippe hérita des droits de sa mère avec sa sœur Madeleine et Madeleine de Proisy. Un aveu de 1632le confirme où toutes trois sont désignées comme dames de Saint Marceau. (D'après la généalogie de la famille de Pouilly, Madeleine aurait épousé Jacques, baron d'Haudanger de Guy, frère de Guillaume qui devait échanger contre la terre et seigneurie de Villers devant Mézières en 1660 deux cents arpents de bois et quatre cent quarante-quatre livres de rentes, tandis que H. Colin dans son étude sur les notices cadastrales de Terwel écrit que c'est Madeleine de Proisy qui était la femme de Jacques et que ce dernier était aussi, entre autres, seigneur de Villers. Quoiqu'il en soit cela tend à conforter l'hypothèse que les descendants ou successeurs des Villers avaient conservé des terres à Saint Marceau).
La possession des terres de Dom n'était pas sans poser des problèmes. Déjà en 1601, le bailli du Rethelois avait interdit aux habitants de Dom de tirer des pierres de taille ou autres des carrières pour d'autres personnes que pour eux et usanciers demeurant sur le territoire, avec défense de transporter des pierres hors dudit ban sans le gré et permission du duc, sous peine d'amende et de confiscation des pierres, chevaux et harnais.
En 1631, les dames de Saint Marceau durent engager un procès contre divers habitants pour paiement des droits de jouisson. Et l'arrêt rendu en leur faveur par le Parlement de Paris sera évoqué en 1664 par Antoine des Armoises dans une requête de ce même Parlement pour établir que le droit d'assise comme le droit de jouis son est un droit réel, seigneurial et foncier.
Et en 1755 encore, Jean Benissein, entrepreneur de travaux du Roi à Charleville adresse à l'Intendant de Champagne une requête pour obtenir la restitution des droits qu'il a payés sur les charrées de pierres qui ont été tirées pour lui à Dom, « ayant été informé par les carrieurs et anciens bourgeois de Dom qu' autrefois on ne payait rien ; attendu que ces pierres se tirent dans leurs usages pour lesquels ils ont payé plusieurs taxes au Roi ... pour chaque charrée de pierres-de taille, on paie aux fermiers de M. le Duc de Mazarin huit sols et pour chaque charrée de bloc aille deux sols ».
Les registres paroissiaux de Saint Marceau ne citent Claude de Pouilly qu'indirectement et rarement malgré sa longue vie dans le village. On pourrait croire qu'elle n'a eu aucune relation avec les habitants, ni même avec ses serviteurs à l'occasion d'un baptême ou d'un mariage. La raison en est que, comme Antoine de Greffin, elle appartenait à la religion réformée. Mgr Le Tellier, archevêque de Reims, note dans le compte-rendu d'une visite pastorale en 1673 qu’« à Saint Martial sur le Mont, le seigneur est des Fourneaux, hérétique ». Ce dernier toutefois abjura ensuite, car en 1679 il signe comme parrain du fils de François d'Ambly, marquis des Ayvelles et de Madeleine de Mazancourt, tandis que sa femme Claude ne le peut « pour cause de religion ». On a vu au début de ce chapitre qu'Antoine de Greffin a été enterré en 1686 dans la communion de la Sainte Église Catholique. Claude de Pouilly aurait abjuré avant de mourir en 1701 à l'âge de 92 ans, mais on ne trouve pas son acte de décès sur les registres de Saint Marceau. Elle avait dû se retirer à Cornay ou à Fléville, car, en septembre 1691, son mari décédé, sans enfant, elle avait laissé par testament à Charles de Pouilly, baron de Cornay, ses propriétés de Dom le Mesnil et de Flize et à César de Pouilly, baron de Fléville, fils aîné du précédent, le domaine de Saint Marceau. César ne quitta pas Fléville. En 1694, il épousa une parente, Charlotte de Pouilly, dame de Gruyères et mourut dix ans après à moins de quarante ans.
Ce fut le fils aîné de César, Charles Antoine de Pouilly qui succéda à la baronne des Fourneaux. Il devint ainsi marquis de Saint Marceau, le marquisat accordé par lettres patentes du Roi à la terre faisant prendre la qualité de marquis à celui qui la possédait. Il ne s'y installa qu'à son mariage en 1719, peu après qu'il ait reçu le brevet d'exempt des Mousquetaires du Roi. Les registres paroissiaux notent le baptême le 1er janvier 1720 de Marie-Françoise, la première fille qu'il ait eue de son épouse Jeanne Claude de Villelongue, dame de Poix, Saint Pierre sur Vence, Champigneul, Mondigny, Cléfay, Nouvion sur Meuse.
Le château de Saint Marceau resta-t-il inhabité entre 1691 ou 1701 et 1719 ? Malgré les morts d'enfants en bas âge, les familles - et celle des Pouilly ne faisait pas exception - étaient fort nombreuses. Il y avait des cadets peu dotés, revenus indemnes mais pauvres du service des armées, heureux de trouver une maison pour les accueillir. Du temps de Claude les registres paroissiaux font état de mariages et de baptêmes de nobles désignés comme résidant à Saint Marceau et parmi lesquels on retrouve des Bohan et des Villers.
Du temps de Charles Antoine, à côté des actes de baptême et de décès de ses enfants, figure en 1731 l'inhumation dans l'église, à 60 ans, de Charlotte de Pouilly, nommée Mademoiselle de Cornay. C'était la grand'tante de Charles Antoine, religieuse au couvent de la Providence à Charleville, qui avait dû demander à être enterrée au lieu familial le plus proche. En 1744 on inhume dans le cimetière le seigneur de Singly. Le prêtre note que c'est « en conséquence de la justice rendue par Maître François Aubert, juge audit lieu ». Accident ou crime peut-être. Mais il est peu probable que le château ait été inoccupé longtemps.
Quoiqu'il en soit Charles Antoine ne devait pas être très heureux à Saint Marceau. En 1738 il acheta à Louise Judith de Beauvais, épouse de Louis François de Maillart les trois quarts de la terre et seigneurie de Gruyères pour 18 000 Iivres et s’y installa aussitôt. La première de ses deux seules filles qui ne moururent pas en bas âge se maria en 1740 hors de Saint Marceau et c'est à Gruyères que le dernier membre de la famille Pouilly ayant habité Saint Marceau mourut en 1780 à l'âge de 85 ans.
Que devint le château après 1738 ? Nous savons qu'en 1751, le seigneur de Saint Marceau est Jean Henry de Paul de Glain. Il signe en effet l'acte de décès de sa mère, Dame Marie Anne Jazy, veuve de Messire Julien de Paul, écuyer du Saint Empire Romain, originaire de Namur, laquelle est inhumée dans l'église du côté de l'épître, devant le banc seigneurial. Antoine de Raincourt, seigneur de Balaives signe également. Peut-être n'est-ce qu'un ami ? Constatons seulement que c'est apparemment encore un Raincourt qui assure la liaison entre les familles seigneuriales qui se sont succédées à Saint Marceau.
Au XVIIe et au XVIIIe comme dans les siècles précédents on est frappé de l'absence de relations apparentes entre les deux petits mondes qui vivent sur la colline : le château et les villageois. Il est temps de revenir à ces derniers.

La vie des habitants au XVIIe et XVIIIe siècles.
Les conséquences des grandes pestes
À Saint Marceau, en 1656, il y avait 22 ménages pleins et 4 demi, nous dit Teruel dans ses notices cadastrales ; c'est-à-dire 26 familles dont 4 n'avaient plus que le père ou la mère. Avec les enfants, les grands parents, la population était d'à peine 80 habitants à en juger par les registres paroissiaux. Une population qui paraît vieillie. Seuls 10 ménages sont en période de fécondité. Et malgré le rythme habituel des naissances, en moyenne un enfant tous les dix-huit mois, certaines années les morts dépassent les naissances. Les mariages sont relativement nombreux. Des garçons viennent des villages voisins chercher les filles de Saint Marceau et les emmènent. Les Paris, qui avec 5 ménages, forment la communauté familiale la plus importante, doivent avoir bonne réputation. Cléophas est maître d'école. Les filles sont sans doute charmantes et bonnes ménagères : François Paillart vient de Villers épouser Jeanne et l'emmène ; Jean Randoux de Saint Pierre sur Vence en fait de même pour Marion et Jean Pouplier, un veuf d'Étrépigny, ramène dans son village Rose. Sans doute y a-t-il quelques arrivées. Jean Lambert, un manouvrier de Belval vient épouser Jacqueline Jacquemin et sera à l'origine de la tribu des Lambert. Sept Lambert feront souche à Saint Marceau au XVIIIe siècle.
Mais en 1656 le village subit encore les conséquences des grandes pestes de 1606, 1625 et surtout 1636. Lors de la déclaration de guerre à l'Autriche en 1635, la région entre Mézières et Bouillon fut occupée par les français comme base d'invasion des provinces espagnoles. Les Français repoussés, les troupes espagnoles passèrent la Meuse plus au nord et, si on peut supposer que Saint Marceau ne fut pas dans la zone des combats, le cantonnement des troupes favorisa la reprise de la peste. Celle-ci fut spécialement violente à Saint Marceau et dans les environs (à Villers en 1656, il y avait 16 demi-ménages pour 18 pleins). Les morts furent enterrés près du Bois de Villers, à l'endroit encore appelé « La Peste ». Dans le cimetière qui se trouvait alors autour de l'église, une croix votive fut érigée à la disparition du fléau et la marque dans la conscience collective fut telle que pendant de longues années, à la procession des Rogations, cette prière publique pour demander la bénédiction de Dieu sur les champs, le village accompagnait son curé « sur les morts ». À cet endroit peut-être y avait-il eu comme à Boulzicourt et à Flize des « huttes » où étaient isolés les malades avant de mourir.
Un autre signe de l'importance du fléau, c'est la disparition de bon nombre de noms de famille du village. Nous avons sur un acte de 1613 la signature ou plus souvent la marque de quatorze chefs de famille et sur le contrat de location du Bois de Florainville de 1630, l'indication des 16 ménages actifs du village. 6 familles ont déjà disparu en 1630 sur les 14 de 1613 et, en 1656, on ne retrouve que 3 des noms de famille de 1630 : les Bourquelot, les Husson et Paris et 2 chez les femmes: Paillard et Tisserand.
Sans doute ne peut-on tirer des registres paroissiaux le nombre exact des existants à une date donnée - arrivées et départs ne donnent pas forcément lieu à acte - mais il semble bien qu'en 1700 la population n'avait que légèrement augmenté sur 1650.

Le renouveau du XVIIIe siècle. Les mariages entre villages
La période suivante est plus facile à étudier parce que les registres paroissiaux sont dans l'ensemble mieux tenus et plus explicites sur les filiations et que la comparaison avec la précédente éclaire l'évolution. Elle montre un renouveau de vitalité, non pas dans la fécondité des couples qui suit le même rythme, mais le brassage des populations entre villages s'amplifie et favorise le développement de Saint Marceau.
Entre 1700 et 1750, soit le temps de deux générations, il y a eu 120 mariages intéressant pour moitié garçons et filles du village. Parmi les 60 garçons, 30 ont épousé des filles de Saint Marceau et sont restés, à l'exception de 3, dans le village ; 30 ont épousé des filles de villages voisins ou des veuves qu'ils ont ramenées dans le village. Même si la balance finale doit être moins favorable, car on ne connaît pas le nombre de veufs ou des veuves de Saint Marceau qui ont été convoler ailleurs, la tendance est nettement différente de celle qui primait auparavant. Parmi les 60 filles, 35 ont épousé des garçons ou des veufs d'autres villages et ont quitté Saint Marceau, mais 25 sont restées. Ainsi Saint Marceau paraît, au début du XVIIIe siècle, retrouver sa vitalité. Le recensement de Saugrain en 1720 donne 41 feux au village et 164 habitants.
Les hommes se marient rarement avant 25 ans, souvent aux environs de 30. Il en est de même pour les femmes, mais la légère différence dans le couple n'est pas toujours en faveur de l'homme. Les unions d'âges disproportionnés sont très rares. Et si l'exemple de Pierre Poussart, fils d'un charpentier de Saint Martin, arrivé en 1722 comme meunier qui, après avoir épousé Appoline Fricoteau, se marie encore deux fois à Saint Marceau avec Catherine Lefebvre, puis Marie Bourgain dont il a successivement 17 enfants, n'a rien d'extraordinaire, son quatrième mariage en 1751 avec Liesse Hulot, fille mineure et sœur cadette de la femme qui vient de convoler avec son fils Charles, l'amène malgré sa nombreuse famille à quitter le pays. On ne connaît pour cette raison ni sa date de décès ni son âge, mais il devait avoir au moins 35 ans de plus que sa jeune épouse.
Par contre, quand Jean Landragin vient de Mohon où il a eu la douleur de voir mourir sa femme pour épouser à 60 ans Élisabeth Cosson, sans doute une charmante vieille dame qui, elle-même, vient de perdre son mari, Jean Lebrun, avec lequel elle allait fêter ses noces d'or, le curé éprouva seulement le besoin de faire attester par quatre hommes du pays qu'ils connaissaient bien les futurs époux, « leur habitude, capacité et liberté de contracter ensemble » .
À côté de ce brassage de populations entre villages, deux tendances dominent. Il est rare qu'au moment du mariage les deux époux aient encore leurs deux parents. Les hommes en particulier cherchent rarement femme quand leur père est encore là. Mais une fois mariés hommes et femmes ne peuvent plus vivre seuls. Dans une économie domestique difficile, avec des naissances nombreuses, où la subsistance dépend du travail de chaque jour, hommes et femmes sentent vivement le besoin de s'épauler. La religion d'ailleurs leur confirme qu'il n'est pas bon pour l’homme de vivre seul et que le mariage a été fondé pour la poursuite de la vie.
Quelques-uns des hommes remariés pendant la première moitié du XVIIIe siècle sont mentionnés ci-après. Mais la liste est loin d'être complète tant pour le nombre des mariages que pour celui des enfants, car le plus souvent le veuf va convoler une nouvelle fois dans un village voisin.

La situation était la même pour les veuves. Et il n'était pas rare qu'un homme épouse en premières noces une veuve. Passées les morts à la naissance ou en bas âge, il y avait en effet un seuil vers 30-35 ans que bon nombre d'hommes et femmes ne franchissaient pas. Ainsi Jeanne Launois, à la mort de son père laboureur, avait uni son sort à Jean Cosson, dont le père également laboureur, venait de mourir. Ils ont un enfant, mais deux ans après, en 1702, Jean Cosson mourait à 27 ans. Jeanne épouse dans l'année (de façon générale les remariages étaient très rapides : 3 ou 4 mois parfois) Jean Colin, apprenti tisserand âgé de 31 ans, lui-même veuf de Jacqueline Correine qu'il avait épousée en 1695, alors qu'elle venait de perdre son mari originaire d'un village voisin. Le nouveau couple a 9 enfants. En 1731 Jean Colin meurt à 59 ans. Et Jeanne, ex-Launois, ex-Colin, a dû épouser ensuite un veuf d'un village voisin, car on ne trouve pas trace de son décès à Saint Marceau. (Remarquons en passant que le choix du domicile de la future épouse pour la célébration du mariage avant d'être une disposition de l'état-civil était une règle religieuse).
L'extension d'un tel mode de vie était telle que les derniers conjoints ne se survivaient que peu d'années, que les célibataires âgés étaient rares, mais surtout que, contrairement à ce qu'on pourrait penser, les unions consanguines étaient peu nombreuses, probablement moins fréquentes que dans les familles nobles, a priori plus « mobiles ». Les actes de mariage qui doivent comporter mention de la dispense obtenue auprès de l'archevêque nous renseignent en effet sur leur rareté relative.
Les mariages entre villages étaient d'habitude déjà ancienne, si on enjugue par les noms que l'on voit réapparaître au hasard des unions. Peut-être peut-on noter que le cercle d'éloignement augmente avec les années. Mais dans la première moitié du XVIIIe siècle, les épouseurs viennent déjà non seulement de Boulzicourt, Chalandry, Elaire, Sapogne, Étrépigny, La Francheville, Villers, mais aussi de Tournes, Tourteron, Poix-Terron, Remilly-les-Pothées, Chémery, Mazerny, Fagnon, Braux, Baalons, Le Chesne Populeux, Omicourt. … Essentiellement des villages. On ne compte que deux citadins de Sedan et de Mézières.

Les naissances. Les coutumes autour de l'enfant
A l'occasion des naissances, on voyait d'ailleurs revenir les parents transplantés. Les enfants étant baptisés le jour de leur naissance, très exceptionnellement le lendemain, on se prend à penser que les parrains et marraines lointains, prévenus de l'approche de l'événement, arrivaient à l'avance et qu'on se serait dans la maison familiale en attendant la fête. On devait aller chercher le curé qui résidait à Villers ou aux Ayvelles en empruntant à un cultivateur une charrette, ou peut-être, prévenu par « le gamin », venait-il à cheval.
Parrains et marraines étaient généralement mari et femme. Vers la fin du XVIIIe on fait davantage appel à un frère ou à une sœur du bébé pour remplir ce rôle. Si ce dernier est un garçon, c'est le nom du parrain qui lui est donné.
Pour une fille, celui de la marraine. Cette tradition conduit à une limitation du nombre des prénoms telle que, outre les épithètes de « le jeune » ou « le vieux » qu'on retrouve dans les registres paroissiaux, l'habitude des surnoms qui était encore très vivace dans le village au début du siècle en découle directement.
En relevant les prénoms des deux familles Paris mariées à la même époque, ayant des enfants à peu près tous les deux ans, on se trouve devant les listes suivantes :
1° Jean, Jeanne, Gilles, Pierre, Jean, Jeanne, Jacques, Jean, Jean
2° Nicolas, Jean, Marguerite, Jeanne, Alexis, Jeanne, Jeanne, Gilles, François, François.
La répétition des mêmes noms : Jean, Jeanne en particulier qui sont alors les plus répandus et qui n'est pas due au choix des mêmes parrains et marraines dans bien des cas, montre également l'importance des décès à la naissance ou dans les premières années. Les registres les plus anciens ne mentionnent d'ailleurs que le baptême et non le décès quand celui-ci intervient peu de temps après la naissance.
La mortalité infantile, importante dans l'ensemble, est très inégale suivant les familles. On est ému en découvrant année après année le sort de Jean Henry Lefebvre, garnisseur de canons à la Manufacture royale d'armes de Charleville, qui épouse en 1766 une payse Jeanne Marie Hulot. En 1767, le jeune couple -lui a 25 ans, elle 31 ans - a des jumeaux dont l'un meurt au bout de huit jours. En 1768 Jeanne Marguerite décède au bout d'un mois; en 1770 Jeanne Marie résiste, mais en 1772 Marie Sixte vivra 8 jours et la mère Jeanne Marie Hulot mourra deux ans après. Jean Henry Lefebvre ramène à Saint Marceau en 1775 sa nouvelle femme Catherine Gennessaux. Le nouveau couple a encore 8 enfants dont 7 ne vivront que quelques jours ou quelques mois. Quand Jean Henry Lefebvre mourra à 50 ans en 1792, il ne restera que 2 de ses 12 enfants.
Et pour parfaire l'exemple en 1798 Jean-Baptiste Peltier, couvreur de La Francheville, âgé de 46 ans, unit son veuvage à celui de Catherine Gennessaux qui l'a - délai inhabituel - attendu 6 ans.
En contraste avec Jean Henry Lefebvre, son père Henry, charron, était mort en 1790, à 75 ans, 15 ans avant la seule femme qu'il ait épousée - ce qui est doublement rare - après avoir eu 11 enfants dont apparemment un seul est mort en bas âge.
Ces différences, la science médicale actuelle en expliquerait sans doute les raisons. Il ne semble pas en tout cas que l’hygiène liée à la richesse ou au niveau de vie ait joué un rôle déterminant. La mortalité infantile a été aussi grande, sinon plus forte, chez les familles nobles. Le jeune couple Charles Antoine de Pouilly sur 8 enfants n'en perd que 2 pendant son séjour à Saint Marceau, mais seules deux filles parviennent à l'âge adulte, l'une qui fut dame de Poix, Saint Pierre, Clefay et Champigneul, l'autre dame de Gruyères et Mondigny. Charles et sa femme étaient eux-mêmes seuls enfants ayant atteint l'âge du mariage et les grands parents de Charles Antoine, sur 16 enfants, en avaient perdu 10 jeunes.
Les accouchements, pendant longtemps, semblent avoir été pratiqués en famille ou avec l'aide de quelque femme plus experte du village. En 1705, Ponce Lallemant, curé des Ayvelles et de Saint Marceau, constate bien que Philbert, fils de Claude Gilmer, laboureur, et de Françoise Moyer « a été présenté à l'église où on a fait les cérémonies accoutumées dans le baptême, ayant été baptisé immédiatement après sa naissance par la sage-femme de cette paroisse, dans la crainte qu'on n'ait pas le temps de le porter à l'église pour recevoir le sacrement de baptême ». Mais dans les décennies suivantes il n'est plus question de sage-femme. Et les registres de préciser de temps en temps que l'enfant a été baptisé immédiatement après sa naissance par Simon Gamblin, berger, Henri Moyer, manouvrier, Claude Gilmer ou tel ou tel paroissien. Il est vrai que ce Simon Gamblin, désigné tantôt comme berger tantôt comme manouvrier, mais plusieurs fois comme « chirurgien de vocation » était peut-être au début du XVIIIe siècle l'expert accoucheur auquel recouraient certaines familles de Saint Marceau. Vers 1750, ce sont Jeanne Paillart, sage-femme de Boulzicourt, puis Marie Lambeaux, sage-femme de Chalandry, qui finiront par apparaître presque systématiquement dans les baptêmes en danger de mort, montrant qu'on recourait habituellement à leurs services. Cette inscription encore, qui en nous confirmant cette évolution, nous révèle une petite scène de vie: « ...ondoyé dans l'émotion par une femme, non sage-femme, en présence de deux femmes peu certaines de la validité du baptême ... ». On croit voir le curé cherchant à démêler les explications de ses trois paroissiennes et apaisant leurs scrupules par un baptême sous condition. L'Église, d'ailleurs, désirait qu'on recourût à une sage-femme instruite pour administrer en cas de nécessité le baptême et qui prêtait serment devant le curé. Peut-être est-ce l'explication que depuis le « chirurgien » Simon Gamblin, Saint Marceau n'ait eu que vers 1730 une seule sage-femme résidente et ait recouru le plus souvent aux services de celles nommées dans sa paroisse principale par le curé ou par les curés voisins.
Les naissances irrégulières, à en juger par les registres, étaient rares. Quelques mariages un peu tardifs. Pour les enfants naturels, l'attitude des notables du village varie. En 1707 naît un enfant chez Marguerite Paris, non mariée. Le registre indique qu'a été baptisé le fils de Marguerite Paris « laquelle a affirmé dans le moment de ses couches par devant Gilles Lancelot et Philbert Moyer, échevins de la Justice de Saint Martial sur le Mont et par devant plusieurs habitants dudit lieu Jean Husson, Johannes Lebrun et Jean Colin que ledit enfant est des œuvres de Barthélémy Poterlet dont on a tiré acte, auquel l’on a imposé le nom de Nicolas ... ».
En 1750 Rose Moyer a un enfant alors qu'elle est veuve depuis près d'un an. L'acte de baptême porte seulement la mention que l'enfant est « extra matrimonium ». Sur les trois autres enfants naturels qui seront baptisés jusqu'en 1800, soit 5 en 150 ans, un seul sera déclaré « de père inconnu ». Pour les deux autres la mère désignera devant témoins le père.

L'organisation du village
On a du mal, avec notre genre de vie actuel, à se représenter celui d'un village d'autrefois. L'histoire tend à donner un éclairage de guerre et de misère. Et certes le travail était dur pour les hommes et pour les femmes pour simplement subsister. Mais les registres paroissiaux nous montrent qu'au XVIIIe siècle Saint Marceau était un village qui se développait. A la Révolution il y avait près de 300 habitants et, en 1830, 343. Les métiers se diversifiaient, créant un artisanat qui attirait apprentis et amoureux confondus.
L'influence du curé était grande, à la fois par son rôle d'officier d'état-civil, le catholicisme étant la religion officielle de la nation, et surtout comme pasteur de ses paroissiens. Passées les années de vicaire, il restait en général assez longtemps dans le même village. J.B. Maclot, nommé curé des Ayvelles et de Saint Martial sur le Mont en 1709, le demeura jusqu'en 1739 après avoir été choisi comme doyen rural de Mézières en 1734. Dans les dernières années, il était aidé par les Frères Capucins de Charleville.
Il était nommé par l'archevêque de Reims sur présentation du chapitre Saint Pierre de Mézières. Le droit de présentation n'était pas de pure forme, de même que l'importance du curé dans son village. Et quand en 1702, le curé de Villers demande à être déchargé de Saint Marceau « en raison de la lieue de très mauvais chemins qui séparait les deux paroisses et qui empêchait les habitants de Saint Marceau de recourir facilement à leur curé, les exposant au danger de mourir sans sacrement, principalement lorsque les maladies sont imprévues et de peu de durée », Charles Maurice Le Tellier, archevêque-duc de Reims, avant de décider que Saint Marceau sera désormais rattaché à la paroisse des Ayvelles, ordonne une longue enquête auprès des curés, des présentateurs, des décimateurs et des habitants. La décision qui a été conservée aux Archives Départementales de la Marne (G 265 2) comporte neuf grandes pages exposant les arguments de tous les intéressés.
Le contrôle de l'archevêché sur la vie des paroisses était néanmoins fort étroit. En 1777, le conseil de Fabrique, constatant qu'il y a des réparations urgentes à faire dans l'église et que les revenus annuels qui sont de 400 L. ne sont pas suffisants, doit faire une supplique à l'archevêque pour qu'il l'autorise à payer cette dépense sur les propres deniers de la Fabrique.
Cette supplique est signée non seulement par le marguillier en charge, mais aussi par le maire et les échevins. Il y a en effet un partage des responsabilités dans l'administration du village entre le curé et une sorte de conseil municipal, les échevins de la Justice de Saint Marceau. Le nombre de ces derniers ne nous est pas connu, mais dans aucun document on n'en trouve plus de trois ensemble. Le plus ancien dont nous ayons trace est Thomas Tisseron en 1613. Dans le bail du Bois de Florainville de 1630, trois échevins: Etienne Le Cossart, François Dayvelles et Jean Husson figurent à côté du curé Mr Gérard Huet. En 1707, c'est en tant qu'échevins que Gilles Lancelot et Philbert Moyer reçoivent la déclaration de Marguerite Paris sur le père de son enfant.
La justice avait un greffier. On ne connaît le nom que d'un seul, vers le milieu du XVIIIe siècle, Jean Lambeaux, cloutier de son métier. Sans doute parce que la plupart du temps, c'est le maître d'école qui tenait ce rôle, marque de la collaboration entre les échevins et le curé. Le maître d'école, qui était normalement aussi chantre à l'église, était choisi par le curé, avec l'accord semble-t-il de la communauté paroissiale. Les réponses faites par le curé Jacques Nicart à un questionnaire adressé vers 1760 par l'archevêché de Reims nous précisent entre autres que le maître d'école de Saint Marceau recevait sept sols et demi par an et un cartel de blé par chaque ménage. Il faisait la classe chez lui à une douzaine de garçons et de filles.
Qu'apprenaient ces maîtres aux quelques enfants que leurs parents acceptaient de voir quitter les travaux ménagers? En 1613, sur 14 hommes participant à un acte, 4 signent, les autres font des marques variées plus ou moins élaborées, deux une simple croix. À partir de 1765, le curé commence à indiquer sur les registres paroissiaux les noms des parrains et marraines et des témoins; 7 ou 8 hommes sur 10 signent leur nom en entier, mais les femmes ne marquent que des croix. Au fil des ans on voit apparaître quelques signatures ne femmes; au début ce sont des femmes extérieures au village, parentes venues pour une naissance ou jeunes mariées. Ce n'est guère que vers 1730 et brusquement que les signatures de femmes commencent à dépasser les marques. Sans doute sous l'influence d'un maître d'école particulièrement actif : Charles Madoulet. C'est lui qui rédige le registre paroissial, sert de témoin, baptise les bébés en danger de mort, assiste aux convois. C'est d'ailleurs aussi l'époque où Jean Lambeaux était greffier de la Justice de Saint Marceau. Est-ce que des signatures malhabiles signifiaient que leurs auteurs savaient écrire? En tout cas les vieilles femmes continuaient à ignorer l'écriture et l’habitude de demander à un grand-parent ou à un frère ou une sœur d'être parrain et marraine laisse subsister pendant tout le XVIIIe siècle des marques sur les registres.
Charles Madoulet disparaît brusquement de Saint Marceau, comme il y était venu, remplacé par Nicolas Legrand de Villers. Comme les sages-femmes et un peu pour les mêmes raisons le maître d'école venait souvent d'ailleurs; le village ne vivait pas isolé, trouvant chez ses voisins les aides dont il avait besoin. Les bergers aussi étaient rarement originaires du pays : il y en avait au moins deux, un pour le troupeau communal, un pour le troupeau du seigneur.
Parmi les meuniers qui se sont succédés au moulin sur la Vence, après les Gilmer vers 1680, les Poussart venus en 1722 de Saint Martin d'une famille de charpentiers sont restés de pères en fils jusqu'en 1770. Pierre Poussart, le premier, devait être un personnage. On se rappelle qu'après avoir vu mourir ses trois premières femmes, il épousa la jeune sœur de sa belle-fille. En 1747, à l'occasion de la prise en fermage par un nouveau meunier des moulins banaux de Mézières, il est choisi comme un des deux experts pour constater contradictoirement l'état des lieux. À cette occasion il est désigné comme charpentier, meunier et foulon du moulin et foulerie de Saint Marceau sur le Mont.
Le foulage est une opération qui a pour objet de feutrer les étoffes de laine. On plaçait celles-ci dans des auges de bois de chêne inclinées, des « piles », où elles étaient frappées obliquement par des maillets de bois mus par le courant de la Vence. Pour faciliter l'opération de feutrage qui se répétait plusieurs fois, on trempait l'étoffe dans une boue d'argile, la terre à foulon. Au bas de la couche de calcaire oolithique qui forme la calotte du mont de Saint Marceau, affleure parfois cette terre à foulon, le fuller's earth comme l'appellent les géologues. Claude Paris, dans une étude récente sur l'usine qui a succédé au moulin de son village natal, relate que le petit abrupt qui se trouve au pied des maisons du côté de Saint Ponce est un reste de la poche où l'on venait extraire cet argile. On comprend que pour l'entretien du moulin et de la machine à foulon, Pierre Poussart et ses successeurs aient été également des charpentiers.
Au cours des ans l'activité de la population s'est diversifiée. Au début ce sont les travaux des champs qui constituent l'essentiel et on ne parle que des laboureurs: les Colin, Cosson, Gilmer, Husson, Launois, Randoux. Benoît Paris, en 1652, est avec la caution de son père Jacques, fermier du chapitre de Mézières ; Colin doit être laboureur du seigneur. Les autres exploitent en famille les terres des divers propriétaires. Ils sont aidés par les manouvriers qui, peu à peu, arrivent à posséder quelque lopin de terre qu'ils font cultiver par les laboureurs en échange de leurs services. Ces derniers, on le verra, rachètent peu à peu des terres aux propriétaires non résidant.
Les manouvriers, ces hommes à tout faire, avec le temps se spécialisent et utilisent leur savoir-faire dans tel ou tel domaine pour compléter les faibles ressources qu'ils tirent des travaux des champs. En 1680, dans le bail de location du bois de Florainville, on a une image des divers métiers du village. A côté du meunier Jean Gilmer, des laboureurs, Jean Randoux, Tinin Cosson, Thomas Jonnal, Jean Husson, Jean Launois et des manouvriers Jean Husson l'aîné, Henri Colin, Pierre Jacquemin, Nicolas Dhime, apparaissent des maçons Gilles et Jean Paris, Guillaume Lancelot, un charpentier Jean Titeux , deux couvreurs Jean Lebrun l'aîné et Jean Lebrun le jeune, un maréchal-ferrant Lucien Belval. Ce sont des artisans nécessaires à la vie du village. Mais, à côté, commencent à se constituer les deux groupes de métiers qui vont essentiellement travailler pour l'extérieur, pour les commerçants de Mézières ou de la région de Sedan, tisserands - tissiers en toile, comme on les appelle alors - puis cloutiers qui formeront peu à peu les travailleurs les plus nombreux à côté des laboureurs.
En 1680, il n'y avait que trois familles de tisserands, celles de Guillaume Moyer, Guillaume Vouet et Jean Paltot et deux familles de cloutiers, celles de Jean Poirier et de François Oudet. Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, les ouvriers travaillant pour l'extérieur et pour certains, hors du village, étaient plus nombreux que les artisans locaux.
Pour comprendre comment le village a vécu cette évolution, il est bon d'examiner sa structure à la veille de la Révolution.

DOCUMENT N° 8
Antoine de Greffin, Maréchal de Camp
(Biographie par G. de Pouilly)
Antoine de Greffin, Baron des Fourneaux, Seigneur de Saint Marceau (d'une ancienne famille originaire de Touraine dont une branche s'était fixée en Champagne) naquit à Givry en 1611.
Capitaine au Régiment de cavalerie étrangère de Watronville par commission du 1er avril 1641, il commanda sa compagnie la même année au siège de Bapaume, passa de là à l'armée d'Allemagne, assista à la bataille de Kempen (1642), aux journées de Fribourg, aux sièges de Philsbourg, Mayence, au combat de Mariendal, se distingua à Nordlinghen, continua de servir avec honneur sous le vicomte de Turenne en Allemagne et eut part à toutes les affaires jusqu'à la paix de Westphalie en 1648.
Il obtint un régiment de dragons étrangers de l'armée d'Allemagne, avec lequel il passa à l'armée de Flandre et fit les campagnes de 1649-1650. Il se trouva au siège de Cambrai et à la prise de Condé, au secours de Guise, à la prise de Rethel, à la bataille de Sommepy gagnée sur le vicomte de Turenne.
Son régiment ayant été réduit en une compagnie franche en 1651, on en composa un régiment de cavalerie étrangère dont il fut mestre de camp. Il le commanda sous le Maréchal de Turenne aux combats de Bléneau, d'Etampes et au fameux combat du Faubourg Saint Antoine contre l'armée des Princes (2 juillet 1652).
Maréchal de camp par brevet du 9 février 1653, il servit dans ce grade sous le Maréchal de Choiseul au siège de Sainte Menehould, à celui de Stenay sous Fabert, au secours d'Arras en 1654, aux sièges de Landrecies, Condé, Saint Guillain (1655), Valenciennes (1656) sous le Maréchal de Turenne.
Il obtint le grade de Brigadier de cavalerie à la création de cette charge le 8 mai 1657, alla servir en cette qualité au siège de Montmédy sous le Maréchal de la Ferté Senecterre. Il contribua à la victoire des Dunes, à la prise de Dunkerque et d' Ypres.
On licencia son régiment par ordre du 20 juillet 1660. Il conserva sa compagnie avec laquelle il passa en Hongrie avec les troupes commandées par le comte de Coligny au secours de l'empereur contre les Turcs. Il se distingua à la bataille du Saint Gothard.
Il rétablit son régiment par lettres du Roi du 7 décembre 1665 et le commanda aux sièges de Douai, deTournai et de Lille en 1667. La guerre ayant été déclarée à la Hollande (1672), il servit en qualité de Brigadier et fit cette campagne sous les ordres du duc de Luxembourg Montmorency- puis passa l'hiver dans la Principauté d'Utrecht. Au mois de février 1674, il se démit de son régiment et quitta le service.
Il mourut au château de Saint Marceau douze ans après.

DOCUMENT N° 9
Les registres paroissiaux
Une ordonnance royale de 1667 avait obligé les curés les enregistrer de façon plus régulière qu'ils n'en avaient l’habitude les baptêmes, mariages et sépultures de leur paroisse. Cette réglementation est rappelée sur les feuilles de registre que le curé de Saint Marcel sur le Mont reçoit en 1706.
« Le Roy pour assurer la preuve des baptêmes, mariages et sépultures, ayant enjoint à tous curés par son ordonnance de 1667 d'enregistrer sur deux registres fournis par les Fabriques tous lesdits baptêmes mariages et sépultures qu' ils feraient, pour l'un des deux être remis chaque année expirée au Greffe de la Juridiction dont Les Paroisses dépendent, Monsieur le Curé de Saint Marcel sur le Mont est averti de faire scavoir au Greffe desdits registres établi à Rethel, où ont été remis les Grosse s de ladite Paroisse depuis 1667 jusqu'en 1691 , si on en a fait pour les retirer et mises audit Greffe, et, si on a négligé de le faire, le faire incessamment sur les minutes au dépens de la Fabrique et de les envoyer audit Greffe à peine d’y être contraint, d' y déposer celui de l'année expirée, en bon état avec son certificat à la fin de l'un des deux registres de l'année présente, pour laquelle déposition, comme aussi pour les deux registres de l'année prochaine 1706, ladite Paroisse paiera la somme de trois livres compris le controlle à laquelle elle est taxée suivant les édits et arrêts de sa Majesté, laquelle dite somme la Fabrique, à la diligence du Sieur Curé et au défaut de ladite Fabrique, ledit Sieur Curé en son propre et privé nom sera tenu de payer 8 jours après la délivrance desdits registres au Sieur François Varoquier, commis à la réception desdits droits et registres, à peine de payer le double de la saisie de son temporel et de vingt livres d'amende au profit du Sieur Greffier desdits registres. Le tout conformément aux Édits et arrêts du Conseil ».

CHAPITRE IV
LA VIE DU VILLAGE PENDANT ET APRÈS LA RÉVOLUTION

On a vu que sur le plan familial, Saint Marceau n'est qu'un des centres de vie d'une région assez étendue entre lesquels les échanges sont nombreux. Mais la mobilité des familles, leur comportement sont différents suivant les métiers. En gros, on distingue vers 1780 trois groupes sociaux.

Les groupes sociaux avant la Révolution
Les cultivateurs, groupe le plus stable, parce que même s'il arrive que les filles n'épousent pas des agriculteurs, l'exploitation du domaine retient les garçons et même les collatéraux. La généalogie d'une famille comme celle des Noiret (Doc, n° 10) est à cet égard significative: À la fin du XVIIe un Jean Noiret arrive, sans doute de Boulzicourt, pour exploiter la cense d’un propriétaire non résidant. Il commence à acheter quelques terres. Sur ses cinq enfants qui atteindront l'âge adulte, une fille et un garçon qui mourront célibataires à 98 et 94 ans participent à l'exploitation familiale, ainsi qu'un garçon marié. Une fille épousera un cultivateur de Poix et, veuve, reviendra terminer sa vie à Saint Marceau. La dernière fille, Jeanne Alexis épouse un cousin, cultivateur à Évigny et suit son mari. Dans la seconde moitié du XVIIIe la branche des Noiret de Saint Marceau n'a pas d'héritier. Seuls restent le vieil oncle et la vieille tante. Alors le fils et les beaux-frères de Jeanne Alexis se regroupent à Saint Marceau pour assurer l'exploitation, cependant que Jeanne Alexis et son mari restent à Évigny.
Le groupe des artisans locaux, lui aussi, conserve la tradition du métier familial. Mais c'est cette tradition même qui les oblige, contrairement aux cultivateurs, à se disperser entre les villages. Ainsi les Agon, dont on-verra la généalogie (Doc. n° 11, page 242), maréchaux-ferrants de père en fils sont obligés au début du XIXe de se disperser entre quatre villages. Cependant que Pierre est maréchal à Saint Marceau, son frère l'est à Montcy Saint Pierre et, parmi ses fils, tandis que Joseph l'aide, Jean-Baptiste est maréchal à La Francheville et Jacques à Poix. L'exemple est valable pour les villages voisins. Meuniers, bergers, maîtres d'école, sages-femmes qui ont exercé à Saint Marceau venaient, on le sait, la plupart du temps d'ailleurs.
Pour les tisserands et les cloutiers, la limitation de leur nombre par village n'existe pas. En 1780 ce sont encore des travailleurs à domicile. Si certains cloutiers ont un cheval et vont vendre leur production de porte en porte aux alentours, la plupart sont en relations avec des marchands. Le lieu de résidence des tisserands qui travaillent sur commandes dépend de leur situation familiale et non de leur travail. Ainsi se constituent des tribus de cloutiers et de tisserands. En 1789, 4 ménages Paris, 3 Verdelet, 3 Vuilleme, 3 Lambeaux sont c1outiers; 3 ménages Colin, 2 Lambert, 2 Lefebvre sont tisserands. Sans compter l'aide qu'apportent le grand-père ou les enfants (Doc. n° 12).
Les tisserands à domicile disparaissent peu à peu; au début du XIXe les cloutiers proliféreront. Et déjà en 1780, l'habitude du travail du fer conduit certains à se faire embaucher au Moulin Leblanc, annexe de la Manufacture royale d'armes de Charleville. Ce sont les premiers ouvriers travaillant à l’extérieur.

Le caractère essentiellement rural des trois groupes sociaux
Mais à la veille de la Révolution Saint Marceau est encore essentiellement un village rural. Rappelons qu'en 1778 la communauté des habitants renouvelle encore le bail du bois de Florainville. Les 31 chefs de famille qui le signent, représentant, dit l'acte, « la plus saine partie des habitants » sont non seulement des laboureurs comme le maire J.B. Camus et un échevin J.B. Noiret ou des manouvriers, mais un charron comme Henry Lefebvre second échevin, des cloutiers, tisserands et armuriers, le maréchal-ferrant, le charpentier, le meunier, le maître d'école ... C'est un tisserand Philbert Colin qui est syndic. Le village entier a été convoqué « de porte en porte » à se réunir devant la porte de l'église, lieu ordinaire de tenue des assemblées » pour participer à l'acte de location.
Un autre document confirme aussi de manière significative le caractère rural de la communauté. La Fabrique, le conseil d'habitants chargé d'administrer les recettes et d'assurer l'entretien de l'église, possédait des terres, objets de dons ou legs, réparties comme il convenait entre les trois roies du Pré Mélot, de Grandchamp et de Fontenelle. Elles auraient pu être louées à un seul fermier. Or en 1787, quand Jean-Louis Paris, cloutier de son métier et marguillier désigné cette année-là par le conseil de Fabrique, renouvelle le bail de ces terres, il le fait suivant l'usage devant la porte de l'église, en présence du curé, en procédant à l'adjudication séparée de chacune des terres.
Les adjudicataires devaient s'acquitter en grains chaque année à la Saint Martin d'hiver. Or parmi eux, il n'existe qu'un seul cultivateur, J.B. Noiret, sans doute désireux d'arrondir la culture d'une parcelle voisine. Les autres sont des cloutiers comme J. L. Paris ou J. L. Verdelet, des tisserands comme Pierre Saudée et même un armurier comme Martin Gamblin qui travaillait chaque jour en dehors du village. Les lots sont petits ; l'ensemble est d'un peu moins de huit hectares et il y a 32 parcelles. Les redevances sont très faibles. On a même l'impression à en juger par leur variation sans rapport avec la surface louée que la location n'était souvent qu'une donation déguisée et que d'un commun accord on s'arrangeait pour laisser à bon compte aux plus démunis le lopin de terre qui lui était nécessaire: Ainsi pour un jour, soit un peu plus de 31 ares, dans un même lieu-dit, l'un paie une redevance de 2 quartels, soit 30 kilos de blé, l'autre de 15 kilos, le troisième de 100 kilos. Et pourtant chaque adjudicataire, quelle que soit la faible importance de sa redevance devait présenter caution. Dans cette vie communautaire l'entr'aide était systématique et permanente. Il semble bien d'ailleurs que l'ambition de toute famille installée à Saint Marceau était de posséder quelque bien en dehors de son jardin. On se rappelle que d'après les notices cadastrales de Teruel, déjà en 1656 les habitants possédaient 78 arpents, soit environ 30 hectares et que le bail de la ferme de l'église Notre-Dame de 1652 permettait de dénombrer parmi les possesseurs de parcelles voisines au moins 9 habitants, soit près de la moitié des familles de l'époque. Les 516 arpents cultivables restants appartenaient à 14 propriétaires, qui, en dehors du seigneur, ne résidaient pas à Saint Marceau. En 1780 un bail de la même ferme fait état de 14 noms d'habitants et comme celle-ci ne comprenait qu'une cinquantaine d'arpents, il est probable que dans d'autres coins du territoire des parcelles étaient possédées par d'autres habitants. La vente comme bien national des terres de la Fabrique révèle 4 autres propriétaires parmi les villageois.
L'image que donne le cadastre confirme l'extension de la petite propriété et des cultures pendant le XVIIIe siècle. D'abord par le nombre des parcelles : il y en avait, en 1810, 1404 soit une moyenne de 34 ares par parcelle. Mais ce qui est peut-être le plus frappant c'est l'apparition hors de la zone de culture délimitée par le terrain calcaire, sur les terrains marneux du bas des pentes, des parcelles longues et étroites, signe de terre cultivée et de petite propriété. Comment supposer que des exploitations de quelque importance s'amusent à partager de cette façon des prés ou même des terres hors de l'assolement communautaire, tandis que le bénéficiaire d'un petit héritage s'accommode du moindre lopin. Les baux nous confirment et la diminution du nombre des censes (il n'y en avait plus que 7 citées dans le bail de 1780) et la persistance de petits biens conservés par des familles émigrées dans des villages voisins.
Les laboureurs, dont le nombre très inférieur au XVIIe siècle à celui des censes montre qu'ils exploitaient pour le compte de plusieurs propriétaires, ont compensé la diminution de leur domaine d'activité en achetant ce qu'ils ont pu de ces censes vendues et ils ont loué les terres des petits propriétaires partis du village. Et surtout l'échange de services qui avait de tout temps existé entre laboureurs et manouvriers s'était étendu à la fin du XVIIIe à la grande majorité des habitants. Rares étaient les familles qui ne demandaient pas à la terre une part de leurs ressources. Seul le temps passé au travail agricole variait.
Sans doute était-ce un comportement économique normal dans la région: Il semble seulement avoir été plus systématique, plus complet à Saint Marceau en raison de la bonne organisation de sa vie communautaire liée à son histoire. Peut-être explique-t-il aussi que l'équilibre entre la culture et l'élevage y ait été mieux conservé qu'ailleurs.
Il n’y a pas d'ailleurs, même au XVIIIe siècle de différenciation nette entre paysan et artisan ou même ouvrier. Une famille de cloutiers et de monteurs d'armes comme les Titeux possède quelques terres et il suffit d'une alliance avec une fille de cultivateurs pour que Jean Titeux devienne laboureur. Benoît Paris, fermier de l'église Notre-Dame de Mézières en 1652 a des descendants tisserands, cloutiers ou maçons.
Faut-il ajouter à ces signes d'une économie essentiellement rurale, l'acceptation d'enfants en nourrice. Il est difficile de savoir s'ils étaient nombreux, car on ne connaît que les décès. Ce que nous savons c'est que les mères nourricières étaient aussi bien meunière, c'est-à-dire ayant une certaine situation, que femme de manouvrier. Et les parents qui confiaient leurs bébés étaient tous des bourgeois de Mézières, avocat au Parlement, receveur des deniers de la ville, maître tailleur d'habits, orfèvre: ce qui suppose un courant régulier entretenu par une publicité orale. Les registres tiennent innocemment compte de la qualité de ces bourgeois en faisant parfois précéder leur nom du terme de Monsieur. Et on voit l'avocat au Parlement prendre la plume d'oie du scribe trop lent pour rétablir l'orthographe de son nom.
Mais après tout ce n'était peut-être pas le bon air de la colline de Saint Marceau qui était en cause, car en 1741 Charlotte de Pouilly, fille de Charles Antoine, née à Saint Marceau et qui avait épousé Charles de Lardenois de Ville, seigneur de Nouvion sur Meuse, confie son premier bébé en nourrice à Boulzicourt et le fait enterrer à Saint Marceau que ses parents ont déjà quitté. Ce qui, entre autres, laisse supposer que le château accueillait encore des membres de sa famille en attendant que les Paul s’y installent.

Les événements au village pendant la période révolutionnaire
Jean Henry de Paul de Glain, Commissaire ordonnateur des guerres à Mézières, mourut en 1770 à Saint Marceau. Charles, François de Paul d'Herville, né en 1722 à Givet, et qui avait épousé en 1750 à Mézières sa cousine Marie Anne Nicole Leseur de Lemée, lui succéda dans sa charge et comme seigneur de Saint Marceau. En tant que tel il avait des droits sur les terres du village. Ceux-ci ne devaient pas être très importants si l'on en juge par le bail de la Fabrique qui réserve pour les droits seigneuriaux le revenu de 20 verges, soit le centième des terres lui appartenant.
On se rend mal compte de son rôle dans la vie du village. Lors de la noyade dans la Vence d'un garçon c'est lui qu'on vient prévenir, comme l'indique le registre paroissial pour l'année 1764 :
« Décès de Jean Marteaux, fils de Jean Marteaux manouvrier et de Catherine Boulveaux de Vieux Saint Rémy, 17 ans, trouvé le 21 février. Avertissement fait aujourd'hui par Jean Jurion garde de bois et de chasse de Madame la Duchesse de Mazarin, demeurant à Boulzicourt à Monsieur Paul, seigneur de Saint Marceau sur le Mont, qu'il y avait un cadavre dans l'eau de la rivière de Vance, lieu-dit La petite Prée au-dessous du ruisseau d'Adamrut comme il est dit dans le procès-verbal et reconnu dans ses habits par ses parents en présence de Jean Noiret, maire, de Charles Hulot échevin, d'Henry Lefebvre aussi échevin et des gardes dudit cadavre assisté de Jean Lambeaux greffier, François Hubert, chirurgien à Mézières comme il se voit dans le P. V. en date du 21 février 1764, lequel cadavre en vertu de l'ordonnance de Monsieur Aubert, avocat en Parlement, Bailli de la terre et seigneurie de Saint Marceau sur le Mont, mis au bas des procès-verbaux en conformité des conclusions de Maître Leroux, aussi avocat au Parlement et procureur fiscal de ladite terre et seigneurie en date du 23 février 1764 qui en aurait ordonné l'inhumation et de suite avons conduit assisté du clergé de ladite paroisse dans le cimetière de Saint Marceau sur le Mont avec les cérémonies ordinaires en présence des parents du défunt qui ont signé. Hénon curé. »
L'acte montre aussi l'intervention de l'administration locale, le maire et les deux échevins, témoins officiels, et des agents du roi pour la terre et seigneurie de Saint Marceau, le bailli, officier de justice dépendant du baillage de Vitry de Vermandois, résidant à Mézières et le procureur fiscal dont la nécessité de la présence dans un constat de mort violente n'étonne qu'à moitié.
En 1780, le maire, Jean- Baptiste Camus était encore un cultivateur comme le premier échevin Jean-Baptiste Noiret. Henri Lefebvre, charron, est toujours échevin. Ces derniers étaient-ils encore en fonction en 1789 ? C'est possible, car ils ne sont morts que plus tard. Mais aucun document ne nous renseigne sur l'administration cette année-là. Par contre, nous savons qu'en 1788 à la cure des Ayvelles et de Saint Marceau Nicolas Collignon remplaçait Jacques Nicart et que Jean-François Podevin était maître d'école et chantre à l'église.
1789-90-91-92, les registres paroissiaux ne signalent rien de particulier. Celui de 1793 est apparemment la suite des précédents. Il porte toujours en tête la mention « le présent registre des actes de baptême », mais il précise qu'il s'agit non plus de la paroisse mais de la municipalité de Saint Marceau et qu'il a été coté et paraphé par le Président du district de Charleville pour recevoir l' enregistrement des actes de baptême qui seront reçus par l'officier public nommé en exécution de la loi du 20 septembre 1792. Il est daté du 20 décembre 1792, l'an 1 de la République.
Le premier acte de ce registre montre le maître d'école un peu embarrassé par ses anciennes habitudes. « Aujourd'hui 5eme jour du mois de juin 1793, l'an deuxième de la République Française, à 4 heures du matin, par devant moi Jean François Podevin, membre du conseil général de la commune de Saint Marceau sur le Mont, élu le premier octobre dernier pour dresser les actes destinés àconstater les naissances, mariages et décès des citoyens, est comparu en la salle publique de la maison commune, Nicolas Paris cloutier, domicilié dans ladite municipalité de Saint Marceau sur le Mont, lequel assisté de Louis, Joseph Haumée, bedeau, c'est-à-dire fonctionnaire attaché à la paroisse de l'église de Mézières du département des Ardennes, a déclaré à moi Jean François Podevin que Jeanne Legros son épouse légitime en mariage est accouchée hier. »
L'acte suivant ne parle plus de bedeau fonctionnaire mais il nous apprend que le maire est le citoyen Mathieu Lambeaux, cloutier, que Pierre Colin, canonnier-forgeron est officier municipal tandis que le maréchal-ferrant Joseph Agon devient agent national de Saint Marceau, terme qui sera remplacé par agent municipal. Est-ce une revanche des petits contre les cultivateurs qui administraient auparavant la commune ? Il semble plutôt que les habitants aient fait un compromis entre la nécessité de paraître adopter l'ordre nouveau et le désir de continuer l'administration traditionnelle. Les Agon étaient liés aux familles de cultivateurs et allaient le devenir eux-mêmes. Et Jean-Baptiste Noiret retrouvera la même année 1793 son rôle de maire ou plus exactement de Président des officiers municipaux. C'est en tant que tel qu'il signe le 20 fructidor an II de la République une et indivisible avec Podevin, greffier, Agon et Pierre Colin une délibération du Conseil municipal attestant que « l'argenterie de notre église ... a été déposée au district dans les premiers abords » ! Et Jean-Baptiste Noiret, lors de la vente des terres déclarées biens nationaux, sera désigné comme expert à Saint Marceau avec celui nommé par le Département.
Le district en question, c'est le district de Libreville, nouveau nom de Charleville. J.F. Podevin a quelque mal à s'y habituer; il y a quelques ratures sur Charleville dans le registre. Tandis que le calendrier républicain, parce qu'il est vraiment très différent du calendrier grégorien, qu'il nécessite un effort d’adaptation évident, est appliqué strictement. Le premier acte inscrit le 3 décembre 1793, soit deux mois après l'institution du calendrier par un décret de la Convention, porte bien la date du douzième de frimaire de l'an II de la République Française une et indivisible. Pendant quelque temps Podevin se garantira contre les erreurs en utilisant les deux calendriers. Ainsi « le 9 frimaire an III et 19ème de décembre 1794 (vieux style) ». Si l'appellation de Libreville a peu duré, le calendrier républicain subsistera à Saint Marceau, contrairement à ce qui s'est passé généralement, même au-delà de son abolition fin 1805.
Voilà pour la forme. Qu'en était-il pour le fond ? Comment a été ressentie la Révolution dans la vie familiale des habitants ?
Le tableau ci-après qui donne le nombre annuel des mariages et des naissances de 1770 à 1800 ne peut être interprété trop strictement: il porte sur des nombres trop faibles. Apparemment d'ailleurs, si on regarde les moyennes des dix ans précédant la Révolution et les dix ans suivant celle-ci, il n'y a pas grande modification dans le comportement. Légèrement moins de mariages, légèrement plus de naissances après 1790. La comparaison avec la décade 1770-79 est cependant plus significative. Si quelque conclusion peut en être tirée, c'est qu'apparemment vers 1780 les craintes de troubles sont déjà assez sensibles pour qu'on cherche dans le mariage une protection mutuelle contre les difficultés. Remariages encore accrus chez les veufs et aussi mariages plus précoces chez les garçons comme chez les filles. Sans doute aussi les relations de travail à l'extérieur du village, les premières arrivées d'une population plus nomade tendent-elles à modifier le comportement ancien lié aux besoins d'une économie agricole qui laissait les enfants plus longtemps dans la dépendance de leurs parents.
Mais si apparemment Saint Marceau traverse la Révolution sans bouleversement majeur, les lois de la République s'y appliquent comme ailleurs. Les biens du seigneur et ceux de l'Église sont déclarés biens nationaux. Quelques actes de vente de ces biens ont été conservés, concernant des terres de la Fabrique et le Bois de Florainville. On se rappelle que l'acquéreur de ce dernier, un juge de paix de Mézières devant supporter les conditions du bail fait aux habitants du village avait reçu du notaire une copie de celui-ci corrigée en style révolutionnaire.
Les biens de la Fabrique ont été vendus en plusieurs lots. Certains ont été achetés par Nicolas Jurion, un paveur venu de Boutancourt qui avait épousé en 1778 à Saint Marceau la fille de Jean-François Podevin. L'affaire ne mérite d'être relatée que parce qu'elle confirme le désir, même chez les nouveaux arrivants artisans, d'acquérir de la terre.
Les actes de vente des biens nationaux sont rédigés sur un magnifique papier de grand format, avec un luxe de précautions juridiques dans le texte qui ne le cède en rien aux documents notariés de l'ancien régime. L'esprit bureaucratique vient de loin (Doc. N° 13).
Chacune des terres était vendue à un prix supposant un revenu d'un peu moins de 5%. Mais autant qu'on puisse en juger ce revenu était minoré. Nicolas Jurion a dû faire une bonne affaire en achetant 360 verges de terres et 115 verges de prés, soit au total 1,85 ha pour 1 479,95 livres. Au prix du sac de 200 livres de blé sur le marché de Charleville en 1789, soit 25 livres 4 sols, l’hectare de terre était supposé ne rapporter qu'un peu plus de 3 quintaux. Il est vrai que depuis le début du siècle le prix du froment avait un peu plus que triplé.
Charles François de Paul d'Herville avait été destitué de sa fonction et semble-t-il assigné à résidence à Mézières. Son fils Joseph ayant émigré, il fut sur l'ordre du commandant de gendarmerie de Mézières, Pascal, incarcéré au Mont-Dieu, sans doute en brumaire an II. Cette ancienne chartreuse qui servit de prison à de nombreux ci-devants, prêtres et suspects des Ardennes, comportait une cinquantaine de cellules. Ernest Henry dans son étude sur « les prisonniers du Mont-Dieu pendant la Révolution » a dénombré au moins 629 personnes qui y ont été enfermées. Mme de Paul d'Herville, sur ordre de Levasseur venu de la Sarthe comme représentant du Peuple dans les Ardennes, « vu le travail fait et arrêté par le Comité de surveillance de la commune de Mézières le 18 floréal an II sur les gens suspects de cette commune » fut, elle aussi, enfermée au Mont-Dieu où elle retrouva son mari dans la cellule n° 18. En même temps qu'elles furent arrêtés le commandant du Génie de la place de Mézières, un médecin militaire et trois épouses d'officiers. Outre l'ancienne fonction de son mari, on la suspectait d'avoir cherché à émigrer à cause d'un voyage de quelques jours fait à Dinant un an auparavant. Il ne semble pas qu'elle ait été dénoncée par les habitants de Saint Marceau, car quelques jours après son arrestation ces derniers députèrent quatre d'entre eux auprès de Levasseur pour lui demander sa libération, voulant la ramener au village. Levasseur refusa. Mme de Paul d'Herville fut relâchée seulement dix mois après.
Au Mont-Dieu de Paul retrouva aussi son secrétaire Diébold, un alsacien suspecté sans doute à cause de son rôle auprès de l'ancien Commissaire ordonnateur des guerres. Combien de temps Diébold resta-t-il en prison ? Il revint en tout cas à Saint Marceau où sept ans après son arrestation les habitants l'élisent maire, fonction dans laquelle il resta de nombreuses années.
On ignore ce que devint Mme de Paul d'Herville. Sans doute mourut-elle assez rapidement après sa libération, car dans le registre d'état-civil de Saint Marceau, on trouve seulement en l'an VI l'acte laconique suivant qui exprime bien le dénuement de l'ancien seigneur de Saint Marceau revenu mourir-solitaire dans son village :
« À 7 heures du soir comparurent Pierre Oudinet, 40 ans, manouvrier de Boulzicourt et Jean-Baptiste Camus, laboureur, demeurant à Saint Marceau, lesquels m'ont déclaré que le citoyen Charles François Paul Dherville, âgé de septante-cinq ans, ci-devant Commissaire ordonnateur des guerres, pensionnaire de la République, était mort aujourd'hui 2ème du mois de floréal en son domicile de Saint Marceau ».
Cet acte de décès pose cependant un petit problème. Paul d'Herville est désigné comme pensionnaire de la République. Par ailleurs, l'acte de vente des biens qui ont dû lui être confisqués à son arrestation n'a pas été retrouvé. Mais plus curieuses encore, ce sont les indications fournies par les baux d'une petite ferme sise à Saint Marceau. En 1740 une demoiselle Gillette Renard donne à la Charité des pauvres malades de la ville de Mézières dont elle est administratrice une ferme qu'elle avait achetée à un certain Nicolas Belval, demeurant à Haraucourt, que ce dernier détenait certainement de ses ancêtres vivant à Saint Marceau au XVIIe siècle. (Notons en passant que la ferme, petite, à peine 3 hectares de terres, chènevière et prés exploitée alors par deux manouvriers, l'a été après l'acquisition par un laboureur: un exemple de plus et de la conservation des terres par les familles émigrées de Saint Marceau et de l'échange de services qui a longtemps existé entre manouvriers et laboureurs). Les baux de cette ferme conservés dans les archives de l'Hôtel-Dieu (G 2) nous donnent la décomposition habituelle par roies et les noms des propriétaires des parcelles voisines. Ainsi constate-t-on dans un bail du 7 pluviose an VI que certaines de ces dernières qui, avant la Révolution, appartenaient au seigneur sont maintenant désignées comme la propriété du citoyen d'Herville. Avait-on rendu ses terres à l'ancien seigneur, durant sa vie - ce qui expliquerait le terme de « pensionnaire » - ou bien celles-ci étaient en attente de vente comme bien national et le rédacteur du bail aurait mis le nom de l'ancien propriétaire.
L'influence de la Révolution sur le comportement religieux des habitants fut-elle importante? On ne peut guère répondre à cette question qu'en examinant les pratiques extérieures. Même si les germes d'une évolution ont été semés, les quelques faits dont nous avons la relation semblent montrer que, là encore, les habitants ont sacrifié à la forme, mais non au fond.
On ne sait comment fut assuré le culte pendant la Révolution. J .L. Collignon, qui avait été nommé à la cure des Ayvelles et de Saint Marceau en 1788, la quitta probablement de lui-même. En 1790 il est remplacé par Pierre. Gallias. Ce dernier prêta-t-il serment à la Constitution civile du clergé ou se cacha-t-il pendant quelques années, ne revenant qu'en 1795 quand les églises furent rendues au culte ? Il était en tout cas curé des Ayvelles en 1798 comme le montre le serment de fidélité qu'il signe le 29 floréal (Doc. n° 14).
Curieusement c'est par les pièces d'un procès en correctionnelle intéressant des habitants de Saint Marceau que nous savons qu'à la même époque les assistants à la Messe dominicale étaient fort nombreux. Comme ces documents donnent une image partielle mais colorée de la vie du village, on trouvera ci -après quelques extraits du dossier.
Le 21 prairial an VI est comparu devant le juge de paix du canton de Flize Pierre Paris le Jeune, prévenu de mauvais traitements envers le citoyen Camus.
Interrogatoire
Pierre Paris le Jeune, cloutier 22 ans demeurant à Saint Marceau chez son père, à lui demandé si le 8 du courant, il n'a pas eu de querelle près de l'endroit destiné au culte à Saint Marceau, avec qui et pour quel motif?
A répondu qu'effectivement il a eu des propos avec le citoyen Camus de Saint Marceau, relativement à la querelle qui s'était établie entre ledit Camus et sa sœur de lui répondant qui disait à ce dernier:« Viens prendre ton enfant et nourris-le comme j'ai fait et je le reprendrai ensuite »; que ledit Camus a apostrophé sa sœur de propos à nuire à sa réputation en l'appelant garce et putain, qu’il lui a même jeté une pierre dont lui répondant a été atteint dangereusement, que lui ayant fait des reproches il en a pris une grosse et que de là il avait observé audit Camus: « Est-ce que tu peux jeter cette pierre-là à ma sœur », qu'aussitôt Camus et son frère sont tombés sur lui répondant, le tirant par les cheveux et le maltraitant au point que ses souliers ont été débouclés, le livre qu'il avait sous son bras jeté, son chapeau renversé, sa queue arrachée, que dans le démêlé son couteau est tombé de sa poche, que s'en étant aperçu il l' a ramassé et ne se rappelle pas si dans le moment il était ouvert ou fermé, mais qu'il ne s'en est pas servi contre ledit Camus comme on a osé le mettre dans un P. V. qu'on a dressé contre lui ...
Procès-verbal du 8eme jour du mois de Prairial an VI
9 h du matin, les citoyens sortant du lieu destiné au culte, est apparue la citoyenne Catherine Paris, fille demeurant chez J.B. Paris l'Aîné, son père, cloutier audit Saint Marceau, laquelle après l'avoir injurié a tenu divers propos diffamatoires au citoyen Nicolas Camus, garçon laboureur de ladite commune, en présence des citoyens réunis comme il est dit ci-dessus, s'est permis de lui jeter des pierres. Au même moment le citoyen Pierre Paris le Jeune, âgé de 20 ans environ, frère de ladite Catherine Paris a tiré un couteau avec lequel il en a frappé ledit Camus et heureusement le coup portant sur le parement de l’habit l'a déchiré ce qui a empêché qu'il y ait du sang répandu, ledit Camus a cherché à se défendre en renversant l'assassin, mais celui-ci déterminé sans doute à consommer le crime prémédité a repris de nouveau son couteau, dont il n'a pu néanmoins faire usage parce qu'enfin les citoyens présents se sont réunis pour éviter des malheurs ultérieurs.
De tout quoi moi, J. B. Hulot adjoint en l'absence de l'agent municipal de ladite commune, pour parvenir au rétablissement de la tranquillité publique troublée depuis plusieurs mois par différentes rixes de même nature, devenant de plus en plus dangereuses, ai rédigé le présent procès-verbal, certifié sincère et véritable et qui sera attesté par les citoyens présents entre lesquels j'ai requis les citoyens J.B. Poirier, Joseph Lambert et Hubert Colin, les trois demeurant dans ladite commune.

A l'occasion de ce procès, l'officier de police judiciaire du canton constate que « depuis plusieurs mois la tranquillité publique est troublée dans la commune ». Il aurait été bien extraordinaire que des clans ne se forment pas. Citons les quelques indices qui nous sont connus qui peuvent être interprétés comme des réactions antireligieuses.
En 1789 était arrivé à Saint Marceau comme meunier André Poncelet, marié depuis quelques années. Avait-on trouvé son prédécesseur trop riche ou trop arrogant ? Ou, celui-ci était-il parti à cause de la vente comme bien national du moulin, propriété des chanoines ? Toujours est-il que le nouveau meunier en 1793 déclare son fils qui vient de naître sous le nom de Liberté-Égalité. Mais quand la situation s'apaise, André Poncelet semble mal vu de ses concitoyens. En 1799, devenu simple garçon meunier et habitant Flize, il est accusé par le citoyen Devaulx, Directeur des Fortifications de Givet, d'avoir tué son chien d'un coup de fusil… Le dossier du procès nous apprend qu'il était alors à Chalandry où il passait pour aller de chez lui travailler au Moulin Leblanc ... avec un fusil de chasse. Était-ce un signe de ses opinions farouchement républicaines ? Le greffier note consciencieusement la phrase rapportée par les quatre témoins, qui sera le thème de la défense : « Ah B ... tu mords sans aboyer; quand ce serait le chien d'un seigneur ou d'un roi qui mord sans aboyer, j'en eut-il eu tort, je n'en manquerai pas un ».
La tradition transmise par les anciens du village rapporte qu'il y avait dans l'église une poutre qui traversait la nef sur laquelle étaient des statues qui furent brûlées en 1793. Un Paris ayant brûlé le Saint Jean, pendant longtemps les descendants de sa branche furent désignés sous le surnom de « Les Saint Jean ».
Plus symptomatiques peut-être les deux mariages au temple décadaire de Flize. En l'an VIII, Jean Nicolas Camus épousait Jeanne Élisabeth Petitfils de Cléfay, cependant que Jean-Baptiste Drouet épousait la sœur de Jean Nicolas Camus de Saint Marceau. Les années précédentes un effort important avait été fait pour remettre en vigueur le culte officiel de l'Être suprême. Une loi de fructidor an VI en particulier réglementait les cérémonies décadaires. Les mariages à la mairie restaient possibles, mais le fait que deux municipalités étaient en cause a sans doute incité à prendre la solution du temple décadaire du canton situé à Flize. D'autant que le président de l'administration municipale du canton qui allait marier les deux couples était J.B. Chartogne, un veuf d'Étrépigny qui s'était installé à Saint Marceau en épousant en secondes noces Catherine Pierrot, veuve elle-même de J.B. Bourguignon lui-même allié des Petitfils de Cléfay.
Opportunité administrative ou familiale ou bien conviction laïque, tous ces faits ne montrent pas en tout cas un bouleversement dans le comportement religieux du village. Les deux mariages au temple décadaire ont été les seuls. Liberté-Égalité n'a pas fait d'émule et les sobriquets donnés montrent plutôt que, passée la Terreur, la conscience collective repoussait un comportement iconoclaste. Quelques 80 ans après, le conseil municipal constatait que sur une population de l'ordre de 360 habitants un tiers des fidèles ne pouvait tenir dans l'église qui contenait alors 200 places et décidait d'accoler à la nef qui existe toujours, le chœur actuel.

Les modifications de la structure sociale du village amorcées sous la Révolution et l'Empire
Mai 1804 naît le 1er Empire. Diébold est maire depuis déjà 4 ans et va le rester jusqu'en 1815, un an avant sa mort, traversant trois sinon quatre régimes. Ce qui confirme l'impression donnée précédemment que les antagonismes n'ont pas été violents au village pendant la Révolution.
Quelques Victoire, Hortense, Félicité, Adélaïde rompent la monotonie des Jeanne, Marie, Catherine, Marguerite. Chez les garçons Jean-Baptiste a toujours la palme, mais Nicolas est assez répandu.
Les guerres de l'Empire ne paraissent pas avoir pesé lourdement sur les habitants. Nicolas Colin décédé en 1811 à l’hôpital militaire de Perpignan est le seul mort du village. Un autre Colin est pensionnaire du gouvernement. Les campagnes à travers l'Europe ont dû donner à la famille un certain goût du dépaysement: Jeanne Marie Colin, veuve à 48 ans est la première à épouser un citadin, capitaine en retraite à Charleville et premier chevalier de la Légion d'Honneur connu au village.
Pendant la Révolution et l'Empire la structure sociale du village s'est insensiblement modifiée. Non pas tant dans le groupe des cultivateurs qui poursuit l'évolution commencée au XVIIe siècle : diminution du nombre des fermes, rachat des terres par les habitants, association entre cultivateurs et petits propriétaires sous forme de services réciproques ou de locations.
Chez les artisans la diversification des métiers est plus grande; on voit apparaître tailleur d'habits, couturière, fileuse de laine, sabotier, ferronnier. Mais maîtres d'école, sages-femmes, bergers, meuniers continuent à venir de villages voisins.
Le changement réside dans le développement rapide d'une population ouvrière essentiellement composée de cloutiers. En 1830 sur une population de 343 habitants, les cloutiers avec une quarantaine de familles en forment presque la moitié. On retrouve parmi eux aussi bien des descendants des anciens habitants de Saint Marceau comme les Moyer qui ont sept ménages de cloutiers ou les Paris avec huit, que des familles arrivées juste avant la Révolution ou après l'Empire. Les tisserands à domicile ont disparu, condamnés par les manufactures. Et les armuriers, foreurs de canons ou limeurs de baïonnettes, qui pendant la période révolutionnaire et les guerres de l'Empire avaient trouvé de nombreux emplois à l'annexe de Mohon de la Manufacture d'armes ont dû se reconvertir avec la cessation en 1827 de cette activité.
La présence importante de cloutiers au village vient sans conteste de la transformation du Moulin Leblanc, et surtout du moulin de Saint Marceau en usine de fabrication de clous. À quelle date s'est fait le changement pour ce dernier ? Claude Paris dans son étude rapporte que de vieux ouvriers lui ont affirmé que les machines à fabriquer les clous utilisaient la même chute d'eau et se trouvaient au même emplacement que les anciennes meules. Il se demande s'il n'y a pas eu une période d’inutilisation des bâtiments entre la meunerie et la clouterie. À en juger par les registres d'état-civil, les deux activités ont coïncidé avant qu'entre 1830 et 1840 le moulin ne soit plus qu'une clouterie. Un peu plus tard qu'au Moulin Leblanc. Ambroise Coffin, qui a dû arriver comme meunier à Saint Marceau vers 1820, probablement en achetant le moulin déclaré bien national est encore en 1834 désigné comme meunier propriétaire du moulin. En 1831 il marie sa fille à un garçon meunier de Warnécourt. Il est donc probable que le meunier de Saint Marceau, tout en poursuivant ses activités de meunerie, avait dès avant la Révolution commencé à installer de petites forges sans doute à la place des anciennes machines à foulon et qu'il servait de commerçant pour les cloutiers à domicile.
Au début, les ouvriers cloutiers restent des ruraux, ne serait-ce que par l'importance dans leur sein des vieilles familles. Mais l'apparition vers 1830 au Moulin Leblanc et sans doute peu de temps après à Saint Marceau des premières machines à clous importées d'Angleterre entraîna l'arrivée d'une population moins stable. Au village deux groupes se formèrent qui cohabiteront sans se fondre. Le clivage entre les deux groupes était marqué par la possession ou non de quelques parcelles de terre. L'usine de Saint Marceau qui remplaça en 1870 la chute d'eau par la vapeur, détient le monopole de fabrication des clous à bateaux tant que les coques de navires furent en bois. En 1885, elle employait 258 ouvriers. Une telle situation ne pouvait qu'influer sur la structure de la population.
Hubert Bourguignon qui succéda à Diébold comme maire et le resta au moins jusqu'en 1833 est un signe de cette transition. Marchand de clous, il devait, comme cela se faisait encore à la fin du XIXe siècle, s'approvisionner auprès des travailleurs à domicile et aller en carriole de village en village vendre son assortiment. Marié à Jeanne Françoise Petitfils d'une famille de cultivateurs de Cléfay, il avait aussi des alliances avec les deux principaux groupes familiaux de cultivateurs de Saint Marceau, les Camus et les Noiret.
Son successeur, Colin-Gilbert, ainsi différencié par le nom de sa femme d'un autre Pierre Colin, présidait un conseil municipal de 10 membres où venait de se faire élire un jeune « ancien notaire » de Boulzicourt, Jean-Baptiste Grison. Celui-ci avait fait son apparition à Saint Marceau en 1824 en déclarant à la mairie un fils né à Boulzicourt. Il avait dû acheter le château et le domaine de l'ancien seigneur de Saint Marceau, soit directement comme bien national, soit plus probablement à cause de la date tardive où il apparaît, à un autre acquéreur qui n'avait pas pu le garder. En 1826, à l'occasion de la naissance de Hortense, Virginie, Clara Grison, Jean-Baptiste et sa femme Marie-Louise Not sont désignés comme demeurant au château, tantôt comme propriétaires, tantôt comme cultivateurs. Participait-il activement à l'exploitation ? Il était entré en tout cas dans la vie du village. Il logeait l'instituteur, le jeune Jean-Baptiste Chopplet, venu de Sécheval, dans une chambre du château, fut témoin à son mariage avec la fille de Jean-François Jurion. Pourquoi brusquement, le 8 mars 1834, alors qu'il venait d'entrer au conseil municipal, vend-il le château et les terres à Pierre de Flavigny de Doncourt qui à 30 ans s'intitule déjà ancien magistrat ? Ce dernier doit être marqué politiquement et il a probablement mauvais caractère. Car la même année il fait un procès au meunier Coffin à propos du curage du gué du moulin qui lui causait préjudice sur ses prés. A-t-il des difficultés pécuniaires ou se sent-il mal à l'aise à Saint Marceau ? En 1830, à peine son épouse a-t-elle mis au monde au château un fils, il revend le domaine à Me Waroquier, notaire à Charleville, qui ne trouve un acquéreur qu'en 1839 en la personne de M. de Wignacourt. Celui-ci y installera son fils à son mariage en 1845.
Un autre bien national, le bois de Florainville, a aussi changé de mains. On ne trouve plus trace au XIXe siècle de son premier acquéreur le sieur Baroist. Une partie au moins, les Sarts, devenus biens communaux, sont mis en location périodiquement par le conseil municipal. Ce sont soit des prés, soit des « triages », terrains broussailleux qui marquent la dégradation de l'ancien bois.

Le village au XIXe siècle
Ainsi le Saint Marceau de 1830 apparemment peu bouleversé par la Révolution et l'Empire, où le caractère rural est toujours prédominant n'est-il plus cependant celui de 1780. Sa structure sociale contient les germes d'un changement qui s'effectuera insensiblement. On se limitera ici à relever parmi les délibérations du conseil municipal quelques-unes des décisions, parfois pittoresques, qui ont marqué l'évolution du village vers la vie moderne.
L'école n'est pas encore gratuite. L'instituteur en 1835 doit recevoir de chaque parent d'élève, chaque mois, 50 centimes pour les plus jeunes et 75 centimes pour les plus vieux. Mais 8 enfants sont instruits gratuitement. En 1841, une troisième division est formée pour qui la contribution est portée à 1 franc. Le conseil, remarquant que sur la soixantaine d'enfants qui fréquentent l'école en hiver, peu le font en été à cause des travaux des champs, décide de n'offrir qu'à 6 enfants l'instruction gratuite. Aucune indication n'est donnée sur l'endroit où se passait la classe (sans doute dans la salle de la mairie). Ce n'est qu'en 1842 que la construction d'une maison d'école est décidée. Elle coûtera 7 345 francs et nécessitera une imposition extraordinaire de 20 centimes par franc pendant 5 ans.
Les conséquences en furent heureuses, car en 1847 le conseil « vu le zèle que le sieur Lefort Félix met pour l'instruction » propose d'augmenter le prix de la rétribution mensuelle. Et comme l'instituteur de ce temps devait comme sous l'ancien régime chanter tous les offices à l'église, sonner midi et les angelus toute l'année, le conseil fixe sa rétribution pour cette fonction, le marlage, à 3 francs pour chaque ménage et à 2 francs pour les veuves.
Le conseil de Fabrique d'ailleurs nomme un second chantre auquel il alloue 40 francs en 1867, et en 1868 il donne une gratification de 20 francs à l'instituteur en plus de son traitement officiel.
L'eau. Jusqu'en 1835 les habitants devaient aller chercher l'eau nécessaire à leurs besoins à la source de Fontenelle. C'était d'autant plus malcommode que le chemin vicinal qui mène au centre du village était tellement raide qu'on dut en 1847 en adoucir la pente. Aussi la construction d'un puits et d'une fontaine communale près de l'église est-elle faite avec le concours de tous. Les voituriers s'offrent à apporter les matériaux, les habitants à déblayer, le maçon à maçonner. On se passe d'un « architecte » faute d'argent, le maire et l'adjoint conduisant à tour de rôle les travaux; le conseil municipal priant seulement Monsieur le Préfet de l'autoriser à passer marché avec un ouvrier mineur qualifié.
Les voies de communications. Le problème des chemins vicinaux préoccupait les édiles. Ceux-ci étaient insuffisants et mal entretenus. À l'intérieur du territoire, le morcellement des terres était tel que la plupart des parcelles n'avaient pas de communication directe avec un chemin. Et les liaisons avec les villages voisins ou Mézières ne devaient pas être commodes. Le conseil municipal se disputait avec Chalandry, prétextant que cette commune n'empierrait pas sa portion de chemin commun. La création de forges le long de la Vence avait amené l'abandon de l'ancienne route de Paris pour l'actuel tracé dans la vallée. Mais la Ruelle des Correaux, ainsi que s'appelait le chemin qui raccordait le village à cette route ne devait pas être très entretenu, si on en juge par les démêlés du conseil avec un propriétaire riverain sur les limites de cette voie.
Quant aux automobilistes actuels qui, venant de Paris gagnent Sedan par la route de Boulzicourt à Flize, ils ignorent que c'est grâce à une pétition du conseil municipal de Saint Marceau qu'ils ont échappé aux multiples lacets d'une route franchissant « montagne sur montagne » et surtout que cette liaison n'existait pas il y a 150 ans.
1836 « Le Conseil invite le Préfet à délibérer sur l'avantage que peut offrir au pays un chemin vicinal de grande communication de Flize à Boulzicourt par Étrépigny passant sur portion du ban de la commune, considérant qu'il est de la plus haute importance que cette ligne de communication passe plutôt par Boulzicourt que par Balaives, Butz et Villers sur le Mont pour gagner la route de Poix et sur le peu de distance qu'il y a d'Étrépigny à Boulzicourt pour gagner la route départementale, que cela coûterait beaucoup moins au département et en particulier pour la facilité de roulage d'Étrépigny à Boulzicourt sur un terrain plat sans montagne, tandis que par Balaives et Villers sur le Mont, ce n'est que montagne sur montagne et presque inaccessible et qu'il faudrait toujours que lesvoitures prennent des chevaux de conduite pour gravir ces montagnes, que cette cause-là seule nuirait beaucoup au commerce et reviendrait toujours onéreuse au Département par la longueur du trajet qui est trois fois aussi long que par Boulzicourt. Le conseil est unanimement décidé à ce que cette portion de prestations que la loi autorise soit employée à l'établissement de ce chemin en passant par Boulzicourt si utile au pays ».
La Poste. On aura une idée du fonctionnement de celle-ci en lisant la délibération du conseil municipal en mai 1836. « Considérant qu'il est de la plus haute importance d'accélérer les relations commerciales des habitants de la commune de Saint Marceau qui est composée de la maison de M. de Doncourt (avocat) et de marchands de clous et d'autres commerçants et la lenteur des correspondances occasionnant souvent de grands inconvénients, le conseil est unanimement d'avis à ce que le facteur salarié vienne tous les jours apporter les dépêches de la poste de Mézières et emporter les dépêches qui seraient dans la Boîte, le conseil prie Monsieur le Préfet de bien vouloir accueillir favorablement cette demande et lui donner son exécution le plus rapidement possible ».
La tranquillité publique. Les délibérations du conseil font souvent état de procès et de disputes sur des problèmes de mitoyenneté, de coupe d'arbres ou d'utilisation abusive de chemins vicinaux. En 1842 on décide d'adjoindre au Garde-champêtre salarié (pour 130 F par an) trois garde-champêtres honoraires qui ont le droit de verbaliser. On nomme un cloutier Martial Paris-Hulot, un propriétaire J.B. Paris-Évrard et un cultivateur J.B. Camus-Faucheron, sans doute pour que les contraventions soient mieux acceptées par chaque catégorie d'habitants.
La charité publique. Sous l'ancien régime à côté du rôle traditionnel de l'Église fonctionnaient des Bureaux de Charité (en 1764 le revenu des biens de celui de Saint Marceau s'élevait à 48 l.). Les difficultés qui allaient entraîner la Révolution de 1848 amenèrent le conseil à se préoccuper plus particulièrement des indigents.
« 20.9.1846 Saint Marceau était imposé à trois journées de prestations et à 5 centimes par franc pour l'entretien des chemins vicinaux. Le Conseil "considérant que trois journées de prestations pour la classe ouvrière, c'est trop vu la cherté de vivre et 5 centimes « espéciaux » c'est trop aussi pour le fermier qui paye aux contributions, prie Monsieur le Préfet de nous maintenir à notre délibération du 10 mai dernier à deux journées de prestations et à 3 centimes espéciaux qui seront grandement suffisants » .
1847 - Les membres du Conseil et plusieurs notables de la commune font une souscription de 100 francs déposée entre les mains de M. le Maire pour payer les ouvriers qui ont déjà commencé lesdits travaux.
1847 - M. le Président propose au conseil que pour administrer convenablement les travaux exécutés par les ateliers de Charité, il convient de nommer un régisseur pour régler les comptes, faire les mémoires, recevoir et payer les ouvriers.
Novembre 1847 - A une assemblée composée du Conseil et des contribuables de la commune est lue une circulaire du Préfet demandant une imposition extraordinaire en vue de permettre le regroupement des mendiants à Montreuil sous Laon. « Considérant que cette commune se trouve dans l'impossibilité de voter une imposition extraordinaire, attendu qu'elle s'est déjà imposée l'année dernière pour la construction d'une maison d'école. Elle le regrette à l'unanimité, espérant que la souscription volontaire à ce sujet sera possible; d'ailleurs c'est la plus belle chose que l'on puisse faire pour arrêter la mendicité; nous nous chargeons de nourrir nos pauvres de notre commune ».

1848 –IIème République - Poncin, Maire provisoire.
Réunion extraordinaire du Conseil conformément à la lettre du Commissaire général de la République faisant fonction de Préfet provisoire, en date du 19 mars 1848.
Le Maire propose pour venir en aide à la classe malheureuse de faire cultiver environ 2 hectares de terrain communal qui sera ensemencé en mars au profit de la commune pour subvenir aux avances de grains que le Sieur Dehut fermier du citoyen Wignacourt s'est offert de faire aux ouvriers qui sont employés en ce moment aux travaux à charge de la commune.
7 mai 1848 - Il est décidé que pour aider les plus nécessiteux la location des Sarts sera acquittée par corvées sur les chemins vicinaux.
21 mai 1848 - Le Maire propose au conseil qu'attendu que la boue à ramasser dans la rue de Saint Marceau, vu la dégradation que ce ramassage cause dans la rue, d'annuler le bail à partir du 15 juin prochain, attendu aussi que les malheureux de la commune n'ont jamais joui d'aucun privilège vu qu'il leur était défendu d'en ramasser aucune, attendu aussi qu'ils ne pouvaient faire aucun engrais sur leur propriété, ce qui cause à la classe malheureuse un grand dommage, vu qu'ils ne pouvaient se rendre adjudicataires d'aucun lot de cet engrais.
Août 1849 - Le Maire propose de faire balayer les cheminées de la commune par un maître ramoneur patenté de Charleville moyennant 25 centimes par cheminée, lesquels 25 centimes seront perçus par le Maire et remis au Receveur Municipal qui paiera le ramoneur.
Cette mesure empêchera le ramonage individuel qui se fait avec des perches munies de rameaux, ce qui fait très peu tomber la suie et est un risque d'incendie.
Elle empêchera également les procès-verbaux donnés par les garde-champêtres à ceux qui vont couper les perches dans les bois privés.
Les cheminées des indigents seront ramonées gratuitement.
Notons encore pêle-mêle que la défaite de 1870 entraîna pour la commune une contribution à l'autorité prussienne de 1 100 francs; que le fort des Ayvelles qui fut construit après cette guerre comme un point de la ligne de fortifications du général Séré de Rivière l'a été avec des pierres de Saint Marceau. Une ligne de chemin de fer à voie étroite partait de la carrière, passait à l'est du-village et rejoignait par le Defoy l'emplacement du fort.
Enfin, c'est en 1873 que le conseil municipal décida l'agrandissement de l'église. On trouvera page 245 (Doc. n° 15), quelques indications sur celle-ci.
Mais nous voilà arrivés à une époque où, davantage qu'à travers les textes, c'est dans les souvenirs reçus de leurs parents par les anciens du village que peut s'écrire la suite de l’histoire de Saint Marceau.

DOCUMENT N° 13
Un acte de vente de biens nationaux
1er Messidor an IV
Nous administrateurs du Département des Ardennes pour et au nom de la République française et en vertu de la loi du 28 Ventose dernier, de l'avis du Directeur des Domaines, en présence et du consentement du commissaire du Directoire exécutif, avons par ces présentes, vendu et délaissé, dès maintenant et pour toujours
au citoyen Adrien Herly, marchand, demeurant à Charleville à ce présent et acceptant pour lui et ses héritiers ou ayant cause les domaines nationaux dont la teneur suit :
Plusieurs pièces de terres et prés situés au terroir de Saint Marceau, canton de Flize, venant de la Fabrique dudit lieu, déclarée bien national par la loi du 13 Pluviose an II, formant le restant d' une ferme plus considérable vendue par devant le Directoire du District de Charleville, savoir
1° Cent quinze verges de terres à la roye de Fontenelle
2° Cent soixante-sept verges et demie à la roye de Grand champ
3° Cent vingt-cinq verges à la roye du Pré Melot
4° et Cent trente verges de prés détenus par le citoyen Camus, laboureur audit Saint Marceau.
lesdits biens évalués conformément à l'article VIII de la loi du 28 Ventose par le procès-verbal d'estimation du 23 Messidor des Citoyens Nicolas Capitaine, demeurant à La Francheville, expert nommé par l'acquéreur par sa soumission du 22 Prairial et Jean-Baptiste Chartogne demeurant à Étrépigny, expert nommé par la délibération du Département du 18 Messidor
en revenu net à la somme de 65 francs 14 centimes
et en capital celle de 1 433 francs.
Lesdits biens sont vendus avec leurs servitudes actives et passives ... Pour par l'acquéreur entrer en propriété, possession et jouissance à compter de ce jour, avoir les fermages de la récolte de l'an Iveme devant être partagés suivant la loi à compter de l'enregistrement de la quittance du second quartfaite au Département le 9 Messidor et ceux des récoltes précédentes à quelques époques que les termes en soient échus ou doivent échoir, restant réservés à la Nation; à la charge par l'acquéreur de laisser jouir…………………….. , fermier actuel des lieux, pendant le temps qu'il en a le droit, conformément à son bail, si mieux il n'aime l'évincer en se conformant aux lois existantes en cette matière……………………….. de payer :
1° les vacations d'experts et Commissaire, papier timbré, enregistrement
2° un demi pour cent du montant du prix principal.
Fait à Mézières ……………………..
DOCUMENT N° 14
Déclaration de non-rétractatation et serment de fidélité des prêtres
Les Ayvelles Département des Ardennes Canton de Mézières.
Je, Pierre Louis Toussaint Gallias soussigné, ministre du culte catholique dans la commune des Ayvelles déclare avoir fait tous les serments et déclarations exigés par les lois depuis la Révolution jusqu'à présent, n'avoir rien rétracté ni modifié aucun et notamment la Déclaration que j'ai faite en exécution de la loi du 7 Vendémiaire an IV
Fait aux Ayvelles le 30 Frimaire an VI de la République
(s) Gallias
Nous soussignés, membres de l'Administration municipale du canton de Mézières, certifions qu'il n'est pas à notre connaissance que le citoyen Gallias ait rétracté ou modifié la déclaration qu'il a faite en vertu de la loi du 7 Vendémiaire an IV, ni qu'il ait été par lui fait de protestation ni de résolution contraire.
Mézières, le 11 Nivose an VI de la République.
(s) Vivien Président
Aujourd'hui 29 floréal an VI de la République française une et indivisible, par devant le Préfet des Ardennes, le Secrétaire général présent, ont comparu Pierre Louis Toussaint Gallias (natif de Mézières), âgé de 51 ans et demi, ci-devant curé des Ayvelles et y demeurant lequel en exécution de l'art. 7 de la Convention passée entre le Gouvernement français et Sa Sainteté Pie VII nous a invité et prié de recevoir le serment de fidélité indiqué par le susdit article, lequel serment nous l'avons admis et qu'il a à l'instant prêté entre nos mains dans les termes qui suivent: « Je jure et promets à Dieu et sur le Saint Évangile de garder obéissance et fidélité au Gouvernement établi par la Constitution de la République. Je promets aussi de n'avoir aucune intelligence, de n'assister à aucun conseil, de n'entretenir aucune ligue soit au-dedans soit au-dehors qui soit contraire à la tranquillité publique et si dans mon diocèse ou ailleurs, j'apprends qu'il se trame quelque chose au préjudice de l'État je le ferai savoir au Gouvernement » et a signé.
De tout quoi il lui a été donné acte pour lui servir et valoir ce que de raison.
(s) Frain
DOCUMENT N° 15
L'église
De quand date-t-elle ? On sait seulement qu'en 1676 les habitants relèvent la nef qui s'était effondrée pour une dépense de 300 livres et que le curé Jean Chauvet demande au Chapitre Saint Pierre de Mézières, qui en avait la charge de réparer le chœur et le cancel (sanctuaire). On peut penser que cet édifice en ruine était le reste de celui qui existait en l'an 1000. Il paraît peu probable, s'il s'était agi à l'époque d'une petite chapelle qu'elle ait fait l'objet d'une donation par l'archevêque de Reims.
La vierge ancienne qui subsiste dans l'église était fixée avec le Christ en croix et le Saint Jean qui ont été brûlés à la Révolution sur une poutre qui traversait alors la nef.
En 1841, il faut rétablir le clocher et remplacer une poutre de la nef. Pour utiliser le plus possible de bois ancien la flèche est baissée de 1 mètre environ, ce qui donne à l'église actuelle son air trapu.
L' agrandissement nécessité par l'accroissement de la population et des fidèles est demandé par le conseil de Fabrique en 1873. Celui-ci est présidé par M. Pieron, directeur de la Clouterie et également maire, qui obtient l'assentiment du conseil municipal. Une subvention de 8 000 F est demandée aux Pouvoirs publics en 1875.
En 1876 la paroisse est visitée par l'archevêque de Reims, Mgr Langénieux. L'abbé Melin, alors curé de Chalandry et de Saint Marceau relate ainsi cette visite dans le livre de Fabrique:
« 8 juin 1876, la paroisse a eu l’honneur d'être visitée par son excellence Mgr Langénieux, archevêque de Reims. C'était un événement. Depuis le commencement du siècle, les vieillards ne se rappelaient qu'une visite semblable en 1833, celle de Mgr de Rouville coadjuteur de Mgr le Cardinal de Latil. L'accueil fait à Monseigneur a été on ne peut plus touchant: toute la paroisse endimanchée ayant à sa tête les autorités municipales s'est présentée à l'entrée du village du côté de Chalandry pour y recevoir son Excellence qui fut complimentée par le Maire. Les paroissiens étaient au comble de la joie et Monseigneur heureux de la réception qui lui était faite, Il entra dans l'ancienne église qu'on commençait à démolir, dit qu'il bénissait l'église restaurée et qu’il lui donnerait un vitrail. En se rendant à la chapelle provisoire du château, Monseigneur entra dans la maison d'un pauvre malade Helier, qu'il consola et à qui il remit une belle offrande. Après une touchante allocution dans la chapelle provisoire, Monseigneur, accompagné de presque toute la paroisse se rendit à la clouterie où il fut admirablement accueilli ».
La comparaison de l'église actuelle avec le plan de 1840 montre que c'est le chœur qui a été largement agrandi par empiétement sur l'ancien cimetière qui bordait l'édifice au nord et à l'est.
En 1878 la restauration est terminée. Reproduisons par curiosité le livre de comptes de la Fabrique pour cette année-là. Il concerne les vitraux et le dallage en marbre du sanctuaire qui existent toujours.
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